Peut-on simuler l'effet d'une bombe nucléaire à Grenoble ?
À Grenoble comme ailleurs, par crainte d'une catastrophe nucléaire en Ukraine ou d'une guerre atomique, de plus en plus de personnes achètent des pastilles d'iode dans les pharmacies.
Mais que se passerait-il, concrètement, si une bombe atomique explosait place Grenette ? Le simulateur Outrider permet de visualiser l'impact de différents types de bombes atomiques, par exemple sur Grenoble.
Problème : ce simulateur oublie une particularité locale... Grenoble fait partie des rares villes du monde qui accueille, à deux kilomètres de son centre-ville, un réacteur nucléaire. Oui, un vrai réacteur, comme dans les centrales nucléaires, mais en plus petit.
Sur la presqu'île scientifique, au bord du Drac et de l'Isère, le réacteur de recherches de l'Institut Laüe Langevin (ILL) produit les flux de neutrons les plus puissants du monde, en particulier pour le Synchrotron.
Comparée aux centrales nucléaires d'EDF, la centrale de l'ILL paraît négligeable : un réacteur du Bugey produit 900 mégawatts, celui de Grenoble seulement 58. Mais comme toutes les centrales nucléaires, celle de Grenoble est vulnérable à la pire catastrophe qui soit : la fusion du coeur du réacteur. Et comme toutes les installations à haut risque, le réacteur nucléaire dispose d'un Plan Particulier d'Intervention : les mesures d'urgence prévues par les autorités en cas de catastrophe.
En cas d'accident nucléaire à Grenoble, que prévoit le plan d'urgence officiel ?
En théorie, le Plan Particulier d'Intervention de l'ILL est consultable dans les mairies de Grenoble et de Fontaine.
La première fois qu'ici Grenoble a souhaité lire ce document, le service d'accueil de la mairie de Grenoble, surpris par notre démarche, nous a dirigé vers le service urbanisme.
Le service urbanisme nous a redirigé vers le service sécurité. Le service sécurité, étonné par notre demande, a préféré contacter les services de la préfecture avant de nous répondre.
Manifestement, nous étions les premiers et les premières à demander l'accès à ce document, que nous avons enfin pu consulter lors d'un second rendez-vous.
Que contient donc ce fameux plan d'intervention ?
Le rapport auquel nous avons eu accès date de 2006. Il fait seulement 38 pages. Il nous a consterné.
Trois situations accidentelles sont étudiées : La chute d'un avion sur le réacteur, libérant instantanément d'importantes quantités radioactives ; La fusion du réacteur suite à une défaillance matérielle et/ou humaine ; Un incendie faisant exploser le stock de deutérium du réacteur.
Les effets officiels de ces catastrophes ? Une contamination sur un périmètre de 500 mètres maximum. Aucune prise en compte des vents, des rejets dans le Drac et l'Isère, des précipitations, des ruissellements, des infiltrations, des dommages collatéraux dans la zone du CEA.
Les mesures d'urgences prévues ? La population sera avertie par une sirène d'une portée de 800 mètres, si cette sirène fonctionne toujours après l'explosion puisqu'elle est située dans la zone de l'ILL. Les 3000 à 4000 personnes habitant ou travaillant dans le périmètre des 300 mètres seront évacuées. Les 4000 à 5000 personnes habitant ou travaillant dans la zone des 300 à 500 mètres seront encouragées à se "mettre à l'abri".
Toutes seront incitées à consommer des pastilles d'iode, distribuées gratuitement dans les pharmacies environnantes. La zone des 500 mètres sera ensuite bouclée par les forces de l'ordre.
Aucun mot sur les probables mouvements de panique, en particulier sur l'A480 et les axes environnants, sur le chaos plausible au sein du CEA et au-delà, sur les difficultés pour les pompiers et les militaires, dans ces conditions, de rejoindre les zones contaminées.
Aucun mot sur d'autres sources de catastrophes possibles : un séisme de magnitude exceptionnelle, une vague de plusieurs mètres suite à la rupture du barrage de Monteynard, ou encore un assaut "terroriste".
Aucun mot, enfin, sur un accident lors du transport des matières radioactives pour l'alimentation du réacteur.
Certains de ces risques sont cependant détaillés sur le site internet de l'ILL, où les ingénieurs présentent les parades théoriques mises en place, de manière scientifique mais non exhaustive.
D'autres sont présentés sur le site internet de l'Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN), qui exige de nouveaux aménagements de sécurité à l'ILL suite à la catastrophe de Fukushima.
L'un des récents aménagements demandé par l'ASN est un système de pompage de la nappe phréatique sous l'installation nucléaire, une "source de refroidissement ultime capable de résister aux agressions externes extrêmes, en particulier au cumul d’un séisme et d’une inondation provoquée par la rupture de barrages sur le Drac".
Le réacteur nucléaire de l'ILL a été mis en service en 1971. Il n'a connu aucun accident majeur en 46 ans, seulement des incidents. Qui, à Grenoble, connaît précisément ce réacteur, et ce qui est prévu en cas de catastrophe ? En attendant une information à large échelle puis un vrai débat public sur l'existence de ce réacteur nucléaire au coeur de Grenoble, nous espérons que nous ne connaîtrons jamais de Grenoblishima.
* * *
Si vous voulez en savoir plus, si vous souhaitez lutter contre le nucléaire en général et contre le réacteur de l'ILL en particulier, le réseau Sortir du Nucléaire Isère organise régulièrement des réunions à la Maison des associations de Grenoble.
Précisons qu'en cas de contamination nucléaire dans l'agglomération, la seule balise de mesure de la radioactivité indépendante de l'État et d'EDF est installée à Échirolles, gérée par la CRIIRAD.
Enfin, si vous souhaitez savoir ce qui se passe à Fukushima depuis le 11 mars 2011, prendre conscience du chaos social, économique et sanitaire que représente une catastrope nucléaire, nous vous recommandons le dossier spécial de Médiapart, réactualisé régulièrement, et la chronologie détaillée de la revue S!lence.
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