Perquisitions du 26 novembre : Analyses et communiqués

27/11/2019
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Mardi 26 novembre, 350 policiers et gendarmes ont perquisitionné cinq lieux dans l'agglomération (un appartement et les quatre squats Ahwahnee, le 38, la Malaprise et la Disqueuse) ainsi que la Zone À Défendre de Roybon.

Cette opération d’envergure était en lien avec l’enquête sur une série d’incendies et de dégradations volontaires dans l'agglomération grenobloise, comme le précise la commission rogatoire reproduite ci-dessous.

Au moins une dizaine de personnes étrangères qui vivaient dans ces lieux ont été arrêtées. La quasi-totalité des téléphones, ordinateurs, tablettes, clé USB ont été saisis. Une soixantaine de personnes ont été fichées, avec prélèvement ADN, de gré ou de force.

Rappelons la longue liste des actions directes par le feu dans l'agglomération grenobloise depuis trois ans : le CCSTI, 11 véhicules d'Enedis, plusieurs bâtiments et véhicules de la gendarmerie de Grenoble puis de Meylan en 2017 ; du matériel de chantier carcéral de la société Eiffage en 2018 ; les locaux de France Bleu Isère, 8 véhicules EDF, l'Église Saint-Jacques et la salle du conseil municipal de la mairie de Grenoble en 2019.

Rappelons également qu'en janvier 2019, la police avait déjà mené plusieurs perquisitions dans l'agglomération grenobloise (squats, appartement, local associatif), avec saisie de matériel informatique

Pour expliquer et analyser ce qui s'est passé, le Collectif Anti-Répression Isère, le 38, Centre social Tchoukar et le média CRIC ont publié les communiqués suivants :

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Communiqué du Collectif Anti-Répression Isère

"Mardi 26 novembre, à partir de six heures du matin, six lieux alternatifs de Grenoble et ses alentours se sont fait perquisitionner. ZAD, squat ou colocation, personne n'a été épargné.

Le prétexte officiel est d’enquêter sur les incendies qui se produisent dans le département depuis deux ans. Une fois de plus, ce sont les milieux autonomes, libertaires, féministes ou écologistes qui sont visés.

Lors de la plupart des perquisitions, la police ou la gendarmerie n’a pas voulu fournir la commission rogatoire justifiant leurs intrusions. Il n’a pas non plus été toujours possible d’être témoin de la perquisition. Tout ceci est évidemment contraire aux lois de notre soi-disant « Etat de droit ». Le matériel informatique (ordinateurs, téléphones, imprimantes) a été systématiquement saisi privant les personnes visées de moyens de communication sans aucune justification.

En plus de la confiscation de matériel, des prélèvements ADN systématiques ont été effectués, sur les personnes ou leurs effets personnels en cas de refus de leur part. La volonté d’intimidation, qui semble être la seule motivation de ce fichage généralisé, ne peut que nous inquiéter. Si les autorités possèdent des informations sur les incendies sensés justifier ces interventions, pourquoi viser autant de personnes dans autant de lieux différents ?

Enfin, des vérifications d’identité ont été pratiquées. Dans ces lieux de solidarité, les personnes sans-papier ont été arrêté·e·s et envoyé·e·s en centre de rétention administrative (CRA). Ce n’est pas la première fois qu’une opération policière visant ce genre de lieux sert de prétexte à une chasse aux réfugié·e·s. Certaines arrestations ont même été effectuées dans des camps de fortune aux alentours des lieux perquisitionnés.

Difficile de faire le lien entre ces gens et les incendies justifiant l’opération policière. Au total, plus d’une dizaine de personnes ont été embarquées. A ce jour, nous sommes toujours sans nouvelles de certaines de ces personnes, ne sachant pas dans quel CRA elles ont été enfermées ou si elles ont été remises à la rue. Plutôt que de respecter le droit d’asile et d’accueillir dignement ces personnes venues chercher refuge chez nous, l’état préfère les enfermer dans des CRA avant de les expulser.

Tout ceci intervient dans un contexte de répression généralisé et de colère sociale. Les dernières années ont été marquées par une escalade de la violence répressive visant les mouvements sociaux, de la « loi travail » à la ZAD en passant par le mouvement des gilets jaunes. Ces techniques violentes et autoritaires, longtemps invisibilisées car elles ne touchaient que les « quartiers populaires », semblent maintenant être la réponse systématique de l’état à toute contestation politique et à toute volonté de ne pas se conformer à la norme dominante.

Cette intervention arrive au moment où se forme un large mouvement de protestation pour défendre le système des retraites et une colère générale secoue les milieux étudiants et hospitaliers.

Les autorités n’ont pas tardé à communiquer, des articles sont sortis dans la presse dans la matinée. L’empressement pour se vanter d’une opération visant des lieux de contestation ou d’expérimentation politique, sans justifier de lien avec le prétexte des incendies, nous montre une volonté d’intimidation de la population.

Le collectif anti-répression 38 condamne ces actions illégales. Nous affichons notre soutien aux victimes de cette tentative d’intimidation de l’Etat.

Face à la volonté de l’Etat d’isoler chaque individu·e par la peur, réagissons de façon collective et solidaire. Nous réaffirmons notre volonté d’aider toutes celles et tous ceux qui subissent la dérive répressive et autoritaire de l’état.

L'équipe du CAR 38"

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Communiqué du 38, Centre social Tchoukar

"Ce matin du mardi 26 novembre, une nouvelle vague de perquisitions a frappé plusieurs lieux de l'agglomération grenobloise, avec comme prétexte l'enquête concernant des incendies volontaires ayant eu lieu ces 2 dernières années dans la région. Parmi eux, le centre social autonome du 38 rue d'Alembert, à Saint-Bruno.

Pendant plusieurs heures, une dizaine de fourgons de CRS a bloqué une partie de la rue, pendant qu'à l'intérieur était saisi tout le matériel informatique, d'impression, et les lettres de soutien de nos voisin-e-s. Nous n'avons eu droit ni d'assister à la perquisition comme témoins, ni d'avoir accès à la commission rogatoire qui la justifie.

Cette opération d'intimidation vise à affaiblir les personnes et les lieux qui luttent à Grenoble. Elle a permis à la police de prendre des photos, recenser, ficher des personnes militantes et leurs proches, de récolter des ADN dans les lieux et sur les gens, et souvent de force.

Elle a aussi servi de prétexte à répertorier et envoyer en centre de rétention une petite dizaine de personnes sans-papiers, dont certaines n'étaient pourtant que voisines du lieu perquisitionné.

Au delà de ces faits, l'attitude policière a été sans surprise largement transphobe et raciste. Ces perquisitions ne sont qu'une des facettes de l'arsenal répressif qui s'étend depuis quelques années : état d'urgence permanent, interdiction de manifester, violences policières, guerre aux migrant-e-s, et justice toujours plus expéditive. En réalité, si nous sommes aujourd'hui attaqués, c'est en raison de nos engagements politiques et sociaux.

Depuis le 38 se réunissent et s'organisent déjà de nombreux collectifs militants, tels que les gilets jaunes, les jeunes pour le climat, les Rosa Parks musulmanes, les collages contre les féminicides...

Parmi autres grévistes ou initiatives libertaires. Attaquer le 38, c'est non seulement mettre en péril les possibilités de lutte qu'il permet, mais aussi fragiliser les liens de solidarité que nous construisons au quotidien depuis 5 ans à travers nos activités (cantines, ateliers, magasin gratuit, dojo,...).

Concrètement, ce dont la police nous prive aujourd'hui, ce sont de moyens d'organisation matérielle, c'est-à-dire de quoi communiquer, écrire, et diffuser nos propres informations. Ailleurs, cette opération piétine des lieux de vie et envoie des personnes en centre de rétention ; globalement, il s'agit d’asseoir une autorité sur celles et ceux qui y sont réfractaires.

Nous ne nous laisserons pas impressionner. Le 38 continuera à être un espace d'organisation politique, à exprimer des solidarités avec celles et ceux qui luttent, et à participer à la vie du quartier Saint-Bruno.

Nous reconstruirons nos portes cassées et nous acharnerons encore plus à tisser des liens, produire des contre-discours et construire notre autonomie politique et matérielle.

D'autres paroles collectives viendront compléter ce récit ces prochains temps.

Le 38"

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Communiqué (anonyme) publié sur le média CRIC

"Ce texte a pour but d’informer le plus précisément possible sur comment ont été menées les opérations, sur ce que les flics cherchaient, quelles questions ils posaient et les raisons de leur présence. Raisons détaillées dans la commission rogatoire qu’on a réussi à avoir et qui suit ce texte. Pour info, il était quasi impossible de la voir et les flics la récupéraient direct quand elle était montrée.

Les flics ont débarqué à 6h du matin dans 5 lieux d’habitation ou d’activités (4 squats et une colocation) ainsi que dans différents lieux de la zad de roybon. Le dispositif était assez impressionnant : 350 flics mobilisés rien que sur grenoble (PSIG, gendarmes mobiles, BAC, police nationale, police scientifique, PAF, CRS, PJ…). Deux services chapeautaient l’opération : la direction départementale de la sécurité publique de l’isère et la direction interrégionale de la police judiciaire de lyon.

Les flics étaient plutôt tendus à l’arrivée, toutes les portes ont été défoncées et bien que la plupart des personnes ont été confinées dans les espaces où elles ont été trouvées, la tension est un peu redescendue au cours de la perquis’. Enfin dans certains lieux, cerflex aux mains pour tou.te.s les habitan.te.s quand même...

Dans les lieux partagés avec des personnes en galère, non-françaises, avec ou sans-papiers, une distinction claire a été faite entre les « anarchistes » d’un côté et les « migrant.e.s » de l’autre.

Les flics étant venus pour une opération qui n’avait rien a voir en ont profité pour rafler quelques personnes sans-pap au passage. Cela en plus du traitement raciste et particulièrement humiliant pour les personnes noires présentes.

Les personnes repérées comme sans-papiers ou comme n’ayant rien a voir avec « les anarchistes » ont été mises de côté, n’ont pas particulièrement subi d’interrogatoire, de fouille ni de saisie de leurs affaires. Il en ressort quand même deux OQTF pour des personnes laissées en liberté et 5 personnes mises en centre de rétention (à lyon et à nîmes).

Pour les autres, on retient trois axes principaux : identité, ADN, perquiz de matériel.

Contrôle d’identité avec un intérêt particulier pour la taille, le poids, la pointure et la silhouette. Ils posaient des questions sur les piercings et les tatouages, ont filmé et photographié tout le monde (de force, par surprise…). Les personnes qui ne présentaient pas leurs papiers allaient au poste pour vérification d’identité et sont toutes ressorties, même celles qui ont refusé de donner leur identité jusqu’au bout (après quelques heures de gardav quand même !).

Pour ce qui est du fichage ADN, qui était une de leur principale préoccupation, ils l’ont prélevé de moultes manières. Dans le cas des personnes qui ont accepté de le donner, il été pris avec un coton tige dans la bouche. Pour une personne noire il a été pris de force dans la bouche.

Sinon, ils ont pris ce qu’ils appellent de l’ADN pollué de trois manières différentes :
- en confisquant 3 objets par personnes qui pouvaient être des mégots, taies d’oreiller, bouteilles d’eau, chaussettes, culottes, brosse à dents, casquettes/bonnets, gants, tasses….
- en prélevant de l’ADN sur des objets : carte d’identité, cartes bancaires, matériel informatique de manière quasi systématique (clavier, disque dur, écran, tour…). Les cartes d’identité ou bancaires ont été rendu a chaque fois sauf celles ne correspondant à personne de présent.e.
- sur le corps sous couvert de palpation. Dans ce cas les flics mettaient sous scellés les gants utilisés pour la palpation après avoir pris bien soin de frotter les mains ou les cheveux des personnes.

Par la suite, après avoir bien fiché tout le monde, et là on parle d’une soixantaine de personnes entre grenoble et roybon, ils ont commencé les perquis’ à proprement parler. Téléphones portables, ordinateurs, disques durs, clé usb, mp3, tablettes ont été embarqués ainsi que les cahiers de réunions, papiers administratifs et différents types de document pour un lieu d’activités.

Aussi les documents (lettres, journaux intimes) écrits dans une autre langue que le français. Ils ont passé en revue les brochures, affiches, livres, agendas, etc qu’ils ont mitraillés de photos. Ils ont eu l’air de s’intéresser à l’écriture manuscrite de certaines personnes, aux bidons de gasoil et aux bouteilles d’alcool à brûler. Et cherchaient à savoir si les gens avaient des lampes frontales !

Pour ce qui est des questions, peu voire pas de questions posées sur les « affaires » pour lesquelles ils étaient là mais quelques questions sur les personnes, les lieux, les réseaux dans le but de mieux cartographier les crews en présence et leurs supposées interconnections.

Sous les apparences méticuleuses et procédurières, c’est important de signaler que les fouilles et les saisies étaient menées de manière inégale sans logique apparente. Quand dans certaines pièces tout était retourné et saisi dans d’autres ils n’étaient pas aussi zélés. Et il était donc possible de déjouer leur attention à des moments .

En comparaison avec les perquiz de janvier pour les mêmes affaires, ils avaient l’air d’avoir moins d’infos sur les personnes perquisitionnées et d’être un peu plus à l’arrache. A la différence aussi des commissions rogatoires de janvier qui étaient nominatives et ne permettaient les perquisitions que dans les chambres des personnes concernées, celle-la permet quand même de faire à peu près n’importe quoi n’importe où n’importe quand.

Cette fois, les personnes emmerdées n’avaient pas de statut particulier (témoins, témoins assistés, mis en examen), elles l’étaient en tant qu’occupantes des lieux visés. Il n’y a eu donc aucun interrogatoire ou audition officielles.

L’opération perquiz/fichage a duré plus ou moins longtemps selon les lieux. De 6h à 9 – 10h pour certain.e.s, jusqu’à 13h pour d’autres.

Ce qu’on retient de cette journée de merde c’est que c’était essentiellement une opération de fichage généralisé d’un certain « milieu ». Et au passage, des rafles racistes, des perquiz, des insultes racistes, sexistes et transphobes. A ce stade, on a l’impression que n’avançant pas trop dans leur enquête, ils ratissent bien large en espérant que quelque chose en ressortira

. C’était aussi l’occasion de faire un gros étalage de leurs moyens pour intimider, réprimer, faire peur et diviser. Ils ont l’impression de porter un gros coup à « un milieu » mais nous restons solidaires les un.e.s des autres et continuerons à lutter contre l’état et sa répression.

Solidarité avec les personnes enfermées aux CRA !
A bas la répression !"

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Voici ci-dessous une copie de la Commission rogatoire

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