Survivre à Grenoble : Se préparer aux flammes
Voici le second épisode de la série Survivre à Grenoble, coordonnée par Lou, un Grenoblois se définissant comme "survivaliste de gauche".
Après les points de ralliement, Lou vous propose un topo court et percutant sur les incendies en ville.
Ce sujet vous semble trop banal ? Essayez de répondre aux trois questions suivantes :
- Où sont les détecteurs de fumée dans votre habitation et fonctionnent-ils encore ?
- Les personnes avec qui vous vivez savent-elles où sont les extincteurs et comment les utiliser ?
- Si vous habitez dans un immeuble, comment fuir en quelques minutes sans passer par les escaliers ?
Si vous butez sur l'une de ces questions, ce qui va suivre peut vous sauver la vie. Et surtout celle de vos proches.
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SURVIVRE À GRENOBLE
ÉPISODE 2 : SE PRÉPARER AUX FLAMMES
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Une conduite de gaz se perce suite à un petit tremblement de terre. Affolée par le bruit d'une explosion, une personne quitte son appartement sans éteindre sa plaque de cuisson. Le soir d'une coupure électrique générale, des enfants font tomber une bougie allumée sur la moquette...
En temps normal, les incendies sont rares dans l'agglomération grenobloise. En cas de catastrophe, ils deviendront un risque majeur. Comment s'y préparer ?
Dans cet épisode, nous allons voir quatre principes fondamentaux qui devraient être connus de tou-te-s, surtout quand on habite dans un immeuble : le problème du stress face aux flammes, la propagation ultra-rapide du feu, les fumées plus dangereuses que les flammes, la nécessité d'agir vite ou de fuir vite.
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1. LE STRESS FACE AUX FLAMMES
La plupart des incendies ont lieu la nuit. Vous vous réveillez entouré-e de fumée. Vos yeux piquent. Vous entendez des bruits inhabituels. Encore ensommeillé-e, vous peinez à comprendre ce qui se passe. Vous apercevez des flammes. Votre coeur se met à battre fort. Vous pensez à vos proches. Vous pensez à vos affaires. Vous avez du mal à respirer. Vos pensées sont floues. Vous avez envie de vomir. Votre vue se trouble par instants. Vous vous déplacez en titubant.
Le premier problème d'un incendie, c'est le stress. Face aux flammes, la plupart d'entre nous ressentiront les mêmes symptômes : le coeur dépasse les 140 battements par minute, les mouvements sont difficiles (tremblements et parfois tétanie), le corps semble détraqué (vertiges et nausées), le champ de vision se rétrécit (effet tunnel), les pensées se bousculent dans notre cerveau, nos capacités de réflexion diminuent.
Bien sûr, certaines personnes ne ressentiront pas cette panique. Elles resteront calmes, rapides et lucides face au danger. Mais elles sont rares. Même une personne aguerrie et bien préparée mentalement peut ressentir une terreur primale face aux flammes et aux fumées suffocantes.
Vous pensez que j'exagère ? On imagine souvent qu'en cas de vie ou de mort nous ferons toujours preuve d'un sursaut de force et d'intelligence, que nous saurons prendre les bonnes décisions et agir rapidement. Malheureusement, même si vous êtes une personne bien entraînée, vous serez probablement affaibli-e et désorienté-e. Quiconque a vécu de vraies situations de crise sait de quoi je parle.
Si j'insiste autant sur ce point, c'est que le stress face aux flammes va guider toute la suite de cet exposé. La seule manière de contrer la panique lors d'un incendie, c'est de se préparer aux flammes, avec des dispositifs et des équipements simples à utiliser. Tout ce qu'il faut pour agir sans se poser de questions, sans faire trop d'efforts, et surtout rapidement. Car un incendie se propage vite, très vite.
2. LA PROPAGATION ULTRA-RAPIDE DU FEU
Un feu dans une maison ou un immeuble se propage beaucoup plus vite qu'on ne l'imagine. Pourquoi ? Parce que les matériaux synthétiques sont désormais omniprésents dans les constructions et l'ameublement. Et ils s'embrasent très vite. Dans une maison en matériaux massifs comme le chêne ou le pin, un incendie se développe pleinement en une trentaine de minutes. Dans un immeuble moderne, il suffit d'une dizaine de minutes. En quelques minutes, une pièce peut s'embraser et dépasser les 500 degrés.
Vous pensez que j'exagère ? Voici par exemple une petite vidéo en temps réel qui montre comment une petite flamme sur un canapé détruit une pièce entière en seulement 5 minutes.
J'insiste sur ce phénomène bien connu de toutes les personnes qui ont vécu un incendie de près : la puissance du feu dépasse notre imagination. La plupart du temps, quand nous voyons des flammes, ce sont celles d'une cheminée ou d'un barbecue, des flammes maîtrisées et circonscrites, qui ne font pas peur. Un véritable incendie va vite, très vite. Une rapidité terrifiante.
Autre conséquence de l'omniprésence des matériaux synthétiques : leur température d’auto-inflammation est plus basse que le bois. Par le simple rayonnement de la chaleur, un objet en plastique trop près d'un poêle peut s'enflammer spontanément, sans que les flammes n’aient besoin de l’atteindre. Lors d'un incendie, une pièce peut s'embraser alors qu'elle n'est même pas en contact avec le feu.
Conséquence : il faut en permanence "surveiller le feu", c'est-à-dire toutes les sources de chaleur dans votre habitation, les appareils de cuisson et de chauffage, les grilles-pain, tous les systèmes électriques. Y-a-t-il des éléments synthétiques ou des produits inflammables trop près d'une source de chaleur ? Votre conduit de cheminée est-il ramoné tous les ans ? Les allumettes et les briquets sont-ils hors de portée des enfants ? Votre système électrique est-il aux normes ? On n'est jamais trop prudent-e quand il s'agit d'empêcher un incendie.
Maintenant, penchons-nous sur l'ennemi numéro 1 : les fumées.
3. LES FUMÉES PLUS DANGEREUSES QUE LES FLAMMES
Quand un incendie survient, l'intoxication aux fumées est la principale cause des décès, surtout la nuit. En s'enflammant ou en chauffant, les matériaux se décomposent en gaz. Dans ces gaz, on retrouve les produits chimiques présents dans les revêtements, les meubles et les objets industriels : de l’ammoniaque, du chlore, du souffre, du cyanure, du phosgène, du plomb, ou encore du mercure.
Ces gazs sont extrêmement corrosifs, toxiques et asphyxiants. Une intoxication aux fumées ne prend que quelques minutes, même pour une personne en excellente condition physique.
Les fumées sont non seulement toxiques, mais aussi brûlantes, dépassant souvent les 500 degrés. Elles peuvent soudainement s'auto-enflammer, un phénomène thermique impressionnant appelé Flashover.
Dans notre imaginaire, le danger des fumées est souvent sous-estimé. On imagine qu'il sera toujours possible de traverser une pièce enfumée, en se déplaçant un peu comme dans le brouillard. Ou qu'il sera toujours possible de descendre par des escaliers enfumés, en se guidant avec la rampe. En réalité, la chaleur infernale des fumées rend improbable tout déplacement. Une seule inhalation peut vous faire perdre connaissance ou vous intoxiquer à vie.
Conséquence : il faut installer des détecteurs de fumée à chaque étage de son habitation, et surtout les entretenir. Ces détecteurs doivent être autonomes, à piles ou à batterie. Il faut régulièrement jeter un coup d'oeil pour vérifier leur état de marche. En général, les détecteurs sont équipés d'une petite diode qui s'allume à intervalles réguliers, et ils émettent un son strident en fin de batterie. Choisissez un modèle équipé d'un testeur de son, ce qui permet à toutes les personnes partageant votre habitat de connaître le bruit que font les détecteurs quand ils se déclenchent en situation réelle.
Je vous recommande également d'installer des détecteurs de monoxyde de carbone. Ce gaz toxique, incolore et inodore est produit lors des combustions à faible température, lorsque le feu couve par exemple. Si vous disposez d'un chauffage au fioul ou au bois, n'hésitez pas une seconde.
Et maintenant, parlons de survie. Que faire quand l'incendie démarre ?
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4. AGIR VITE OU FUIR VITE
Un feu se propage en quelques minutes. Dans ces conditions, il n'y a que deux solutions pour survivre :
- Soit vous voyez le départ du feu : il faut l'éteindre immédiatement, en moins de deux minutes.
Il faut donc équiper sa maison de plusieurs extincteurs, dans des endroits facilement accessibles et connus de tou-te-s les habitant-e-s.
Quel type d'extincteur choisir ? Je vous recommande les extincteurs à poudre ABC de 6 kg. Ce sont les plus polyvalents. Ils permettent d'éteindre des feux de matériaux solides, meuble, bois, papier ou tissu (classe A), des feux liquides, essence, huile (classe B), des feux de gaz (classe C) et même des feux électriques de moins de 1 000 Volts. Attention, la poudre est très corrosive, tout ce qu'elle touche devra être jeté.
Choisissez un extincteur équipé d'un manomètre, pour contrôler visuellement de temps en temps qu'il est toujours sous pression. Une fois par an, secouez-le bien pour détasser la poudre.
Je vous recommande également de vous équiper de plusieurs couvertures anti-feu. Un matériel simple, fiable et efficace. Il suffit de l'appliquer sur les flammes. Privé d'oxygène, le feu s'arrête.
N'hésitez pas à gaspiller un extincteur ou une couverture anti-feu pour apprendre à les utiliser, pour que chaque habitant-e ait déjà appris à manier ces outils.
Attention à l'usage de l'eau contre le feu. Spontanément, verser un seau d'eau sur des flammes nous paraît toujours une bonne solution. Mais si le feu est d'origine électrique, vous risquez de vous électrocuter. Dans tous les cas, coupez le courant ou fermez le robinet de gaz du logement, si le compteur électrique ou la vanne de gaz sont atteignables sans danger.
- Soit le feu a déjà pris : il faut fuir le plus vite possible.
Mais comment fuir quand on habite un immeuble, sans passer par des escaliers enfumés ou par un ascenceur qui peut se bloquer à tout moment ? Je vous recommande vivement de vous équiper d'échelles de secours pour balcon ou pour fenêtre, si possible avec des ergots sur chaque marche et un harnais sécurisé.
Attention, si vous n'êtes jamais descendu-e de votre vie par une échelle souple, sachez que ce n'est pas facile, surtout avec le stress. Il faut s'entraîner de temps en temps.
Comment faire pour les enfants, les personnes âgées, handicapées, ou les animaux de compagnie ? Pour évacuer vos proches avec une corde avant de partir vous-même, il existe des dispositifs d'évacuation d'urgence, des harnais ou des sacs à bretelle, Là encore, il faut s'entraîner à les utiliser, et connaître les noeuds de base pour attacher solidement une corde.
S vous n'avez pas confiance dans la rambarde de votre balcon ou dans le garde corps de vos fenêtres, vous pouvez installer ou faire installer des crochets d'ancrage dans le mur. Vous pourrez y fixer votre échelle de secours avec des mousquetons d'escalades par exemple.
Dans votre immeuble, vous pouvez également faire installer des escaliers de secours externes, si cela est techniquement possible. Ces dispositifs sont très chers, mais beaucoup plus simples à utiliser.
Comment faire si l'évacuation est impossible sans passer par des zones enfumées ?
Voici quelques conseils ultimes de survie si vous n'avez pas le choix :
- Placez un linge humide sur votre nez et votre bouche.
- Déplacez-vous au ras-du-sol, là où il y a le moins de fumées.
- Touchez les portes avant de les ouvrir. Une porte brûlante signifie que le feu est probablement juste derrière.
- Méfiez-vous des explosions lorsque vous ouvrez une porte (apport soudain d'oxygène aux flammes). Ne l'ouvrez d'abord que de quelques centimètres pour observer.
- Fermez les portes derrière vous pour limiter la progression du feu.
- Enlevez vos vêtements en matériaux synthétiques.
- Si vos cheveux ou vos vêtements prennent feu, étouffez les flammes avec une serviette non synthétique ou en vous roulant par terre.
- Enfin, vous pouvez choisir d'équiper votre maison d'Appareils Respiratoires Isolant (ARI). Ils sont très chers, mais pourront être utiles dans de nombreuses autres situations de survie.
Nous pourrions continuer cette liste, mais soyons réaliste : sans plan d'évacuation rapide, les chances de survie dans un incendie d'immeuble sont minces, surtout la nuit.
Survivre aux flammes, c'est avant tout s'y préparer. S'équiper de détecteurs de fumée et d'extincteurs. Inventer des plans d'évacuation rapide. S'entraîner régulièrement. Et visualiser les différents scénarios possibles, dans sa tête, au calme, pour entraîner son cerveau à encaisser le choc du stress face aux flammes.
À bientôt pour le prochain épisode...
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POUR ALLER PLUS LOIN
- Pour apprendre les bases du feu, rien de mieux que Jamy, Sabine et Fred ! L'émission C'est pas sorcier Au feu les pompiers intéressera les petit-e-s comme les grand-e-s, avec tous les concepts fondamentaux.
- Sur Youtube, de nombreux pompiers partagent leurs savoirs. Je vous recommande en particulier les émissions sur les phénomènes thermiques, sur le Flashover, sur le devéloppement d'un incendie, sur les classes de feu, sur les explosions ou encore sur les tactiques pour attaquer un feu.
- Enfin, si vous en avez la possibilité et la condition physique, devenir sapeur ou sapeuse pompier volontaire est une formidable expérience pour acquérir des techniques, s'aguerrir, en pratiquant une solidarité concrète.