Eau : Les argumentocs de ST Micro

30/08/2023

Le 1er avril dernier, près de mille personnes manifestaient contre la construction d’une nouvelle usine de production de plaquettes de silicium à Crolles, à l'appel du collectif STopMicro. L'une des principales critiques ? La consommation faramineuse en eau des industriels de la high tech, dans un contexte de pénurie proche.

Face à la contestation, la direction locale de ST Microelectronics affirme qu'il n'y aura pas de prélèvement d'eau supplémentaire. Vraiment ?

Pour comprendre le problème et désamorcer les mensonges, le Collectif STopMicro vient de publier une enquête claire et argumentée sur l'eau consommée par ST Micro et Soitec, à partir de toutes les sources disponibles :

"En juin 2023, affolée par la contestation à propos de la consommation d’eau par les industriels de l’électronique (manifestation, rassemblements, affichages massifs, interpellation des élues, etc), la Préfecture de l’Isère convoque dans ses locaux une réunion de la "commission de suivi de site Grésivaudan" avec diverses huiles, sous-huiles, et les directeurs des sites de Crolles des entreprises STMicroelectronics et Ectra (l’un de ses sous-traitants).

Dans cette commission, qui ne s’était pas réunie depuis quatre ans, on discute de la nécessité « "d’objectiver" le sujet de l’eau "car c’est un sujet très sensible" et parce qu’"on sent, y compris avec la presse, qu’il y a une assimilation de la situation de 2022 (sécheresse) avec le sujet du développement de STMicroelectronics" [1].

Sans blague ? Il y aurait donc un rapport entre la consommation d’eau et sa raréfaction ?

Au cours de cette réunion, Eric Gerondeau, directeur du site de Crolles de STMicroelectronics, affirme que le "volume de prélèvement actuel [de l’usine] au réseau est donc à son maximum". Il s’agit d’un mensonge, car la consommation de STMicroelectronics, déjà scandaleuse aujourd’hui, va augmenter de 59 % entre aujourd’hui et 2025.

Afin de remettre le débat sur des bases "objectives", alors que la Préfecture lance l’enquête publique à propos de l’agrandissement de ST (du 28 août au 9 octobre, en mairies de Crolles et Bernin [2]) nous proposons d’apporter des réponses claires à quelques questions :

- Quelle est la consommation actuelle d’eau de l’usine STMicro de Crolles ?

- D’où vient cette eau ?

- La consommation d’eau de l’usine va-t-elle augmenter dans les années qui viennent, et dans quelles proportions ?

 - Le « recyclage » de l’eau annoncé par l’industriel couvrira-t-il la hausse de la production ?

- Cet accroissement de la demande en eau présente-t-il des risques ?

- Et qu’en est-il de l’usine Soitec située à Bernin ?

Devant la dispersion des sources, nous avons tâché de faire la synthèse des divers chiffres disponibles aujourd’hui.

1. Quelle est la consommation actuelle d’eau de l’usine STMicroelectronics de Crolles ?

Depuis début 2023 et des travaux d’infrastructure sur les réseaux de Grenoble Alpes Métropole de la Communauté de Commune du Grésivaudan et de la Métropole Grenoble-Alpes, cette consommation doit avoisiner les 13 500 m3/j, soit une augmentation de 15% environ par rapport à début 2022 [3].

Le total d’eau potable qui transite depuis Grenoble Alpes Métropole vers le Grésivaudan est aujourd’hui d’environ 16 500 m3/j. Ceci inclut ST (~13 500 m3/j) [4] et Soitec (~2 500 m3/j) [5].
A l’heure actuelle, ST consomme donc 156 litres d’eau par seconde, et sa voisine Soitec 29 litres.

2. D’où vient cette eau ? S’agit-il d’eau potable ?

À ce jour, la totalité de l’eau consommée par les deux usines vient du réseau d’eau public. Il s’agit donc d’eau potable, acheminée principalement depuis le champ captant dit « Romanche » à Vizille, jusqu’à Crolles par la Société Publique Locale Eaux de Grenoble Alpes.

A terme, trois forages dans la nappe phréatique située sous le site de ST permettront le refroidissement des salles blanches (actuellement réalisé avec de l’eau potable !) [6].

3. La consommation d’eau de l’usine va-t-elle augmenter dans les années qui viennent, et dans quelles proportions ?

Les chiffres communiqués par ST (auprès de la MRAE et auprès de la Préfecture) affirment qu’après l’agrandissement, le site consommera environ 33 500 m3 par jour.

Une partie de cette eau proviendra de forages pratiqués sous l’usine (12 000 m3/jour d’eau non potable, à destination des systèmes de refroidissement), mais il est néanmoins prévu un accroissement de la demande en eau potable pour atteindre 21 500 m3/j [7]. Soit 190% de plus qu’en 2021 et 59 % de plus qu’aujourd’hui.

Il est donc officiellement prévu que l’usine de STMicroelectronics à Crolles consommera 387 litres d’eau par seconde après l’agrandissement, dont 249 issus du réseau public d’eau potable.

4. Quand cette augmentation de la consommation sera-t-elle effective ?

Les annonces d’agrandissement de STMicroelectronics concernent une mise en service progressive des infrastructures (composées de mini-usines, des « gateways », achevées les unes après les autres) dès 2024 [8]. La mise en service totale, donc la consommation maximum, devrait être atteinte, selon les sources, en 2028 [9], 2026 [10], ou 2025 [11], donc d’ici deux à cinq ans.

5. Le « recyclage » de l’eau annoncé par l’industriel peut-il couvrir la hausse de la production ?

Non. Dans ce domaine, il est assez facile d’abuser son monde… L’eau potable est d’abord rendue ultrapure avant de passer en salle blanche. En sortie de salle blanche, une partie de cette eau (désormais faiblement à fortement polluée) peut être utilisée par exemple pour aller refroidir l’air des salles blanches (au travers d’échangeurs thermiques air/eau). STMicroelectronics parle alors de recyclage.

Mais si on s’accorde à dire que le taux de recyclage concerne uniquement l’eau ultrapure, c’est-à-dire si on regarde quelle proportion d’eau ultrapure est ré-injectée dans le circuit « process silicium » des salles blanches, alors ce taux de recyclage « utile » est actuellement de 0% [12].

Or, nettoyer de l’eau ultrapure qui a été polluée par les procédés de salle blanche pour la rendre ultrapure à nouveau consomme énormément d’énergie. L’industriel préférera évidemment traiter de l’eau potable pour la rendre ultrapure plutôt que de traiter l’eau polluée des salles blanches pour la rendre ultrapure à nouveau.

Techniquement, il reste possible d’effectuer ce traitement et donc d’améliorer le taux de recyclage utile, mais le coût énergétique et donc le coût financier seront alors nettement augmentés. Sans parler de l’empreinte carbone ! [13]

6. Est-il possible pour STMicroelectronics d’agrandir l’usine de Crolles sans augmenter sa consommation d’eau ? Ou sans lui fournir plus d’eau du réseau public ?

Non. À l’heure actuelle, l’industriel prévoit de tripler sa consommation d’eau et sa consommation d’eau potable par rapport à 2021 (cf point 3).

Les éventuels progrès de recyclage ne peuvent pas couvrir de telles augmentations (cf point 5). En outre, ces innovations devraient intervenir au rythme très rapide de la croissance de la production, d’ici deux à cinq ans (cf point 4).

7. Le directeur de l’usine de Crolles de STMicroelectronics a-t-il menti à la Préfecture le 14 juin 2023 ?

Oui. Lors de la réunion de la Commission de Suivi de Site Grésivaudan [14], on affirme : « 1 400 m3/h [NDLR : 33 600 m3/j] sont demandés par le site. Ils seraient répartis en deux volumes : un volume d’eau potable venant du réseau collectif et un volume issu de pompages sur site (forages dédiés). […]

– M. Gerondeau [NDLR : directeur de l’usine] : Ce qui fait l’actualité autour de ce sujet c’est aussi la confusion entre notre demande de prélèvement et les besoins globaux en eau du Grésivaudan. Ces besoins globaux sont de 29 000 m3/jour pour la zone d’activité. A l’heure actuelle, du fait de la taille des canalisations, notre site est au maximum de sa sollicitation du réseau d’eau potable (550 m3/h). C’est pourquoi il est demandé une autorisation de forage et pompage en nappe, pour pouvoir disposer, en secours, de 600 m3/h d’eau de nappe si jamais la boucle de recyclage ne fonctionnait pas. Notre volume de prélèvement actuel au réseau est donc à son maximum, on est très en dessous des 29 000 m3/jour que Grenoble Alpes Métropole mettrait à disposition du Grésivaudan et nous n’augmenterons pas ce volume.

– M. Giannoccaro : La photographie des données dont vous parlez tient compte des besoins actuels et futurs ?

– M. Gerondeau : Avec ces volumes on se projette à 10 ans et même au-delà de la capacité de production qui fait l’objet de la demande. »

Il est faux de prétendre que les « besoins globaux sont de 29 000 m3/jour pour la zone d’activité ». 29 000 m3/jour, c’est la capacité maximale de fourniture d’eau au Grésivaudan. Ce n’est pas ce qui est consommé actuellement.

Il est faux de prétendre qu’« à l’heure actuelle, du fait de la taille des canalisations, notre site est au maximum de sa sollicitation du réseau d’eau potable (550 m3/h) ». 550 m3/h, c’est 13 200 m3/j. Or, d’ici quelques années (voir point 4), la consommation d’eau potable de ST va être de 21 500 m3/j.

Il est faux de prétendre que « notre volume de prélèvement actuel au réseau est donc à son maximum, on est très en dessous des 29 000 m3/jour que Grenoble Alpes Métropole mettrait à disposition du Grésivaudan et nous n’augmenterons pas ce volume ». On vient de le voir, le volume de prélèvement au réseau de l’usine va tripler.

Il est vrai que la consommation de ST, comme celle du Grésivaudan est en dessous de 29 000 m3/j (voir point 1) mais il est faux de prétendre que le volume consommé ne va pas augmenter, même s’il va rester en dessous de 29 000 m3/j (voir point 3). D’autant que, comme on l’a vu, à terme l’usine elle-même consommera plus de 29 000 m3/j : 33 600 m3/j dont une partie issue de forages (point 3 également).

Amalgamant les chiffres concernant ST et le Grésivaudan, confondant les autorisations maximum et les besoins actuels, le directeur de STMicroelectronics Crolles a donc tenté d’abuser les services de la Préfecture, pour minimiser les nuisances causées par son usine, en essayant de faire croire que la demande en eau potable du site restera stable (à des niveaux déjà scandaleux) pour les dix prochaines années, alors que celle-ci doit être multipliée par 2,9 au cours des cinq années à venir maximum (ou deux années selon les sources, voir point 4).

En outre, on peut se demander ce qui arrivera dans « 10 ans » (ou « au delà »), lorsque ST voudra encore augmenter sa consommation…

8. Les conduites publiques d’eau ont-elles la capacité de transporter toute l’eau nécessaire aux industriels, ou faudra-t-il les agrandir ?

Les conduites d’eau qui alimentent le Grésivaudan ont une capacité physiquement limitée à 29 000 m3/j depuis qu’elle a été augmentée en 2022, par l’installation de surpresseurs [15].

STMicroelectronics prévoit de consommer 33 600 m3/j, dont 21 500 issus du réseau d’eau potable (voir point 3). Quand on y ajoute la consommation de Soitec, des autres industries et du Grésivaudan en général (voir point 1), on peut estimer que cette consommation globale restera sous le seuil des 29 000 m3/j. A priori, il n’y aura donc pas d’autres travaux sur le réseau d’eau potable pour permettre aux industriels d’accroître leurs capacités de production.

9. Quels sont les risques associés à l’augmentation de la consommation d’eau des usines ?

Aujourd’hui, on peut avoir l’impression qu’il y a de la marge sur les quantités prélevées. En effet, au regard des arrêtés préfectoraux, on devrait pouvoir prélever environ 2 fois plus d’eau potable qu’aujourd’hui : le champ captant « Romanche » est bien fourni [16]. Le problème ne serait alors qu’un problème technique : les capacités de pompage ne seraient simplement pas adaptées.

Sauf que ces volumes autorisés ont été définis en 1967 ! La Mission Régionale d’Autorité Environnementale est d’ailleurs très claire à ce sujet dans son rapport d’évaluation de la demande d’extension de l’usine ST à Crolles : « l’Autorité environnementale recommande de préciser l’état quantitatif de la ressource en eau utilisée pour le réseau d’eau potable et l’alimentation du site en eau au regard des évolutions climatiques prévisibles »

De même, les effets cumulés d’accroissement de la demande en eau potable des sites de ST et de Soitec n’ont pas été évalués (les deux usines sont immédiatement voisines, mais les deux dossiers sont toujours traités de façon séparée). Pas plus que l’impact des prélèvements sur la nappe phréatique de l’Isère.

Ainsi, dans le même avis de la MRAE, on peut lire : « Le dossier ne fait pas d’analyse de la vulnérabilité de la ressource en eau, que ce soit la nappe d’accompagnement de l’Isère ou celle alluviale de la Romanche, ni des éventuelles pressions sur ces ressources en eau. » [17]

10. Que faire face à cette situation scandaleuse ?

Rejoindre le collectif STopMicro et se battre contre l’accaparement des ressources par les industriels de l’électronique !

Nous nous réunissons régulièrement, nous organisons des actions, nous collectons et partageons des informations… et nous comptons bien empêcher l’agrandissement du site de STMicroelectronics.

Nous luttons contre l’emprise numérique grandissante, contre le pouvoir des grandes entreprises, et pour une alternative à la dégradation environnementale et au mode de vie industriel qui en est la cause.

Contactez-nous : stopmicro@riseup.net, https://stopmicro38.noblogs.org.

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Annexes

L’origine de cette étude, ou pourquoi ce souhait de recouper un maximum de données ?

L’idée est de reconstruire un ensemble de données cohérent, à la fois concernant les prélèvements actuels, mais aussi projetés, ainsi que les risques associés à ces niveaux de prélèvements.

Ce travail devrait ainsi permettre de poser le débat autour de la ressource en eau pour les sites industriels de microélectronique de la vallée du Grésivaudan sur des bases solides. On espère ainsi pouvoir éviter des lectures simplifiées, sinon simplistes.

Ainsi, en parcourant les commentaires souvent lapidaires qui accompagnent les articles relatant la manifestation du 1er Avril portée par le collectif STopMicro et intitulée « De l’eau, pas des puces ! » [18] on lit tout aussi bien que « la quantité d’eau potable consommée par ST met la population en danger », ce qui est objectivement faux à ce jour, mais aussi que « il s’agit simplement de prendre de l’eau dans la nappe et de la rejeter dans la rivière », ce qui est tout aussi faux puisque l’eau n’est pas de même nature en entrée et en sortie.

Nous n’abordons qu’une des facettes liées à l’eau, à savoir le prélèvement de la ressource en eau potable maintenant et demain, et les conflits d’usage que cela laisse présager.

Par exemple, l’aspect rejets en eau et polluants associés n’est ici pas traité. Ni le sujet risque inondation. Ni les risques sur la nappe phréatique liés aux deux forages.

En fait, pour appréhender le sujet dans toute sa complexité, il faudrait prendre en compte l’ensemble des aspects liés à l’extension de l’usine de Crolles, pas seulement l’eau et encore moins l’eau potable uniquement. Ainsi, quid des émissions de gaz à effets de serre, de la pollution atmosphérique, de l’artificialisation des sols, des déchets, des rejets aqueux, des impacts sur l’aménagement du territoire (transports, logement, services publics) ?

Tous ces points qu’il faudrait mettre en balance vis-à-vis des apports pour les collectivités locales (notamment impôts), emplois créés, ou encore la contribution à l’autonomie industrielle du pays, etc. Bref, le sujet est vaste et complexe et devrait être traité dans son ensemble. De prochaines notes pourraient permettre de couvrir certains de ces autres aspects.

Pourquoi tant d’eau ?

Précisons pourquoi les entreprises de la microélectronique souhaitent bénéficier d’une eau ultrapure. Un article du journal Le Postillon [19] apporte des éléments de réponse : « Les circuits en microélectronique sont si miniaturisés (28 voire 14 nanomètres pour les grilles de transistor les plus fines) que le moindre contaminant, notamment les ions présents dans l’eau, peut créer des défauts pouvant générer des courts-circuits et le dysfonctionnement des puces ».

Et de compléter « Même l’eau la plus claire […] tout à fait potable a encore trop de choses en elle pour les besoins de la microélectronique. Alors la première opération qu’on lui fait subir est de la débarrasser de tous les éléments « impurs » pour obtenir de l’eau pure à 99,99 %, soit de « l’eau ultrapure » ».

Ceci passe par plusieurs étapes de traitement (détaillées dans ce même article). L’eau dite « ultrapure » n’est pas un poison mais elle est impropre à la consommation. Le reste de l’article détaille l’utilisation qui est faite de l’eau et son traitement. On peut résumer rapidement que cette eau ultrapure va servir notamment à laver les plaques de silicium, se chargeant au passage de produits chimiques.

Après traitement dans la station dédiée, ce qui génère annuellement des dizaines de milliers de tonnes de polluants qui seront évacués par ailleurs, l’eau est rejetée dans l’Isère. Le contenu en impuretés et polluants est certes en conformité avec les seuils fixés par les services de l’État, mais l’eau rendue à est de « qualité rivière » donc non potable.

Comment les chiffres ont-ils été obtenus ?

1. Sur les volumes prélevés à ce jour

Les données les plus complètes concernent l’année 2021. A fin 2021, on peut indiquer de manière assez fiable que la consommation cumulée des usines de ST et Soitec était de 14 500m3/jour, soit 167 litres par seconde. Voici les sources qui permettent d’obtenir ces chiffres :

– Dans les différents articles du Postillon [20], on retrouve souvent le chiffre de 20 000 m3/j pour la consommation en eau potable pour les site de STMicroelectronics et Soitec en 2022, même si on trouve aussi dans une des éditions [21] le chiffre de 176 litres par seconde (~15 000 m3/j) sur un même périmètre. Cette dernière valeur correspondrait à une valeur moyenne tandis que 20 000 m3/j serait une valeur pic [22].

– En additionnant les valeurs attribuées directement à Soitec [23] et STMicroelectronics [24] on obtient un total de 14 500 m3/j : 11 500 m3/j pour ST en 2021 (4 232 000 m3 annuels) et 3 000 m3/j pour Soitec en 2020 (1 100 000 m3 annuels)

– De son côté, le rapport de la MRAE [25] fait état de capacités d’adduction actuelles au niveau de STMicroelectronics de 14 880 m³/jour (620 m3/h) et que des travaux à l’été 2023 devraient augmenter la capacité de distribution du réseau à 800 m³/h soit 19 200 m³/jour.

Ainsi, les chiffres communiqués par les entreprises elles-mêmes et a priori consolidés par le rapport MRAE semblent confirmer un flux quotidien moyen proche de 15 000 m3/j pour STMicroelectronics et Soitec. Ceci reste éloigné des 20 000 m3/j annoncés dans Le Postillon pour la consommation actuelle, qui correspondrait ainsi au pic de consommation.

– Quant à Sophie Olmos (citée par place Grenet [26]), vice-présidente en charge de l’eau à Grenoble-Alpes Métropole, elle indique 8 millions de m3/an pour STMicroelectronics + Soitec, soit 22 000 m3/j, ce qui semble élevé au regard des chiffres précédemment donnés

– La Société Publique Locale (SPL) Eaux de Grenoble Alpes indique dans son bilan 2021 [27] que le volume annuel distribué à destination de Crolles a été de 13 500 m3/j (~5 M m3/an).

Conclusion pour 2021 : Il semble le plus probable de considérer que les sites de ST et Soitec représentent de l’ordre de 14 500 m3/j en 2021. C’est ce qui recoupe le mieux les données EDGA, MRAE et STMicroelectronics. (Nota : D’après le rapport d’Eaux de Grenoble Alpes de 2021 [28], 30,878 millions de m3 ont été extraits en 2021 sur les champs captants de Rochefort et Jouchy-Pré Grivel. Avec 4,938 millions de m3 vers Crolles, cela représente 16% du volume total de ces 2 nappes qui part vers le Grésivaudan, dont 85% pour ST.)

Pour 2022, on peut se baser sur le rapport d’Eaux de Grenoble Alpes [29] qui indique une augmentation d’environ 3% des volumes distribués vers Crolles (5,082 millions de m3). Les consommations des industriels ont donc probablement peu augmenté en 2022. Le directeur du site annonce que « la consommation d’eau a réduit, le site a consommé un volume d’eau similaire à 2021 pour une production supérieure de 20% » [30]. La consommation n’a donc « réduit » qu’en valeur relative.

Pour 2023, la Communauté de Commune Le Grésivaudan fait état d’une augmentation significative de l’approvisionnement en eau depuis Grenoble Alpes Métropole [31]. Ainsi, à ce jour, ce seraient 16 400 m3/j (6 millions de m3/an) qui transiteraient depuis Grenoble Alpes Métropole, dont 13 500 m3/j iraient à STMicroelectronics [32].

2. Sur les volumes prélevés dans le futur à court et moyen terme

L’eau potable est actuellement utilisée par STMicroelectronics pour ses procédés microélectroniques (eau potable rendue ultrapure), mais aussi pour les besoins de refroidissement de ses salles blanches via des échangeurs thermiques air/eau. Ainsi, sur 100 litres d’eau potable qui entrent aujourd’hui sur le site, 35 litres sont utilisés pour un besoin autre que les procédés microélectroniques [33].

Cette proportion d’eau potable peut être remplacée aisément par de l’eau de nappe. Un arrêté préfectoral récent [34] a autorisé STMicroelectronics à réaliser le forage de 2 puits au droit du site. Ainsi, l’entrée en service des forages P1 et P2 (pour 7 200 m3/j) pourrait permettre d’augmenter la production de puces sans requérir plus d’eau potable. A plus long terme, ST pourrait envisager un 3ème puits pour prélever jusqu’à 500 m3/h (12 000 m3/j) depuis les nappes.

Ceci devrait amener à un total futur de 33 600 m3/j [35], dont 12 000 m3/j d’eau de nappe et donc un besoin de ~21 600 m3/j en eau potable.

Si on y ajoute les besoins croissants de Soitec et la commune de Crolles, on se rapproche des 29 000 m3/j qui font l’objet de la convention entre Grenoble Alpes Métropole et la Communauté de communes Le Grésivaudan [36].

Ce volume est d’ailleurs confirmé par Francis Bernigaud, Vice-Président délégué à l’eau de la Communauté de Commune Le Grésivaudan « On a eu tout un travail pour monter les capacités de production d’eau à un seuil de 29 000 m3 qui correspond au développement des industriels sur l’horizon 2023-2024 ».[37] Et de compléter : « Les industriels nous annoncent des plans de développement très supérieurs à ça. Ils souhaiteraient doubler leur consommation d’eau, sur un horizon 2030, 2035, 2050. »

Ainsi, la demande officielle serait, à l’horizon 2023-2024 de 21 600 m3/j d’eau potable pour ST (7,7 millions de m3 par an)  pour un total de 29 000 m3/j vers le Grésivaudan (10,6 millions de m3/an).

A plus long terme, les industriels auraient déjà en projet des consommations bien plus élevées. Soit en utilisant pour partie de l’eau des nappes (d’où les 33 600 m3/j de consommation totale d’eau annoncés par ST) ou en faisant appel à des sources d’eau potable annexes.

3. Sur la capacités des nappes

– D’après un internaute qui semble très au fait de la situation sur STMicroelectronics [38] la nappe du Drac (Rochefort) est exploitée à seulement 18% de sa capacité. C’est en écart avec les 25% annoncés par un professionnel du secteur [39], chiffre également avancé par Sophie Olmos [40].

– D’après Eaux de Grenoble Alpes [41]: le prélèvement sur la nappe dite Drac était en 2021 de 15 478 022 m3, soit 20% des volumes autorisés (p. 48) et le prélèvement sur la nappe dite Romanche était en 2021 de 15 399 940 m3, soit 32% du volume autorisé prélevé sur Pré Grivel et 50% du volume autorisé prélevé sur Jouchy (p. 50).

Si on suppose que les volumes prélevés sur Pré-Grivel et Jouchy sont équivalents, alors on déduit une moyenne de 41% des volumes autorisés pour la Romanche.

Au global, on pourrait donc prélever annuellement : 77,4 millions de m3 pour le Drac et 36,7 millions de m3 pour la Romanche, soit environ 114 millions m3 par an. On aurait donc un taux actuel de prélèvement de 27%.

D’après une présentation de Jacques Wiart [42], on serait plutôt à 40% (facteur 2,5)

D’après un hydrologue concerné par ces sujets, on serait à 25% sur Drac et 50% sur Romanche, soit 38% au global (volumes totaux comparables).

Conclusion : on doit pouvoir avancer que le taux de prélèvement actuel (ratio entre la quantité effectivement prélevée et la quantité autorisée) se situe entre 32% et 40% pour les 2 nappes concernées (Drac et Romanche).

4. Sur les risques associés

A ce sujet, on ne dispose pas d’éléments chiffrés précis. On peut néanmoins faire appel à certains articles pour se donner une idée :

Voir les propos d’une responsable de EDGA dans l’article de Place Grenet : « Cela fait dix ans que le niveau de la nappe du Drac n’avait pas été aussi bas, À court terme, pas d’inquiétude. Mais dès le moment où les sécheresses vont se répéter d’année en année, les capacités importantes des nappes seront-elles suffisantes pour couvrir l’ensemble des besoins ? » [43]

– Voir également le rapport de la MRAE qui est sans appel sur ce point : « l’Autorité environnementale recommande de préciser l’état quantitatif de la ressource en eau utilisée pour le réseau d’eau potable et l’alimentation du site en eau au regard des évolutions climatiques prévisibles » [44].

– En août 2022 [45], l’ensemble du département de l’Isère a été placé en crise sécheresse de niveau 4 (sur 4) conduisant notamment à l’interdiction d’arrosage des pelouses, massifs fleuris ou espaces verts, l’interdiction d’arroser les potagers privés entre 9h et 20h, et la réduction de 50% de l’arrosage des cultures maraîchères. Attention, il s’agit ici d’eau des nappes phréatiques pour la plupart autres que celles de la Romanche et du Drac.

– Déclaration de Francis Bernigaud, Vice-Président délégué à l’eau de la Communauté de Communes Le Grésivaudan « Après l’été que l’on vient de passer, c’est vrai que je suis inquiet sur notre capacité à fournir de la bonne eau aux industriels, aux agriculteurs et aux habitants partout sur le territoire » [46].

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Sources

1 : DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, Compte-rendu de la Commission de Suivi de Site Grésivaudan, 14/06/2023, https://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/20230704-cr-css_gresivaudan_14.06_2023.pdf

2 : À ce sujet, lire notre communiqué « Enquête publique: les dés sont pipés », 28/08/2023, https://stopmicro38.noblogs.org/post/2023/08/28/enquete-publique-les-des-sont-pipes/

3 : Compilation des données : du Rapport d’activité 2021 de Eaux de Grenoble Alpes ; de la Mission Régionale d’Autorité Environnementale (MRAE) – Avis n 2022-ARA-AP-1475 (17/02/2023), https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf ; et de la Déclaration Environnementale 2021 Site de Crolles de STMicroelectronics. Consulter le point 3.1 des annexes de notre document pour plus de détails.

4 : Déclaration Environnementale 2021 – Site de Crolles de STMicroelectronics.

5 : Raphaëlle Lavorel, « En Isère, l’industrie électronique boit toute l’eau », Reporterre, 12/01/2023, https://reporterre.net/En-Isere-l-industrie-electronique-boit-toute-l-eau.

6 : Arrêté préfectoral DDPP-DREAL UD38-2022-03-08.

7 : Mission Régionale d’Autorité Environnementale (MRAE) – Avis n 2022-ARA-AP-1475, 17/02/2023, https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf.

8 : Le Dauphiné Libéré, 26/08/2023.

9 : « STMicroelectronics va doubler les capacités de son usine de puces à Crolles avec GlobalFoundries », Les Échos, 11/07/2022, https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/stmicroelectronics-va-doubler-les-capacites-de-son-usine-de-puces-a-crolles-avec-globalfoundries-1776027.

10 : Le Dauphiné Libéré, 26/08/2023.

11 : Communiqué du Ministère de l’économie, 5/06/2023, https://presse.economie.gouv.fr/05062023-bruno-le-maire-annonce-le-debut-de-la-production-de-la-mega-usine-de-semi-conducteurs-portee-par-globalfoundries-et-stmicroelectronics-a-crolles-et-signe-le-contrat-daide-de-letat-au-projet/ ainsi que M. Peyre, DREAL et Mme. Schittly, STMicroelectronics, Compte-rendu de la Commission de Suivi de Site Grésivaudan, 14/06/2023, art. cit.

12 : Sur le sujet, consulter le point 2 des annexes de notre document pour plus de détails.

13 : Sur le sujet, lire aussi notre texte « Eau: il n’y a pas de recyclage chez STMicroelectronics », Mai 2023, https://stopmicro38.noblogs.org/files/2023/05/Eau-il-ny-a-pas-de-recyclage-chez-ST-Microelectronics-1-2.pdf

14 : DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, Compte-rendu de la Commission de Suivi de Site Grésivaudan, 14/06/2023, https://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/20230704-cr-css_gresivaudan_14.06_2023.pdf

15 : Raùl Guillen et Vincent Peyret, « Ces puces qui s’emparent de « l’or bleu » des Alpes », Le Monde diplomatique, juin 2023.

16 : Sur le sujet, consulter le point 3 des annexes de notre document pour plus de détails.

17 : Sur le sujet, consulter le point 4 des annexes de notre document pour plus de détails.

18 : Voir par exemple Le Monde, « Contre l’accaparement de l’eau, des centaines de personnes ont manifesté devant l’entreprise STMicroelectronics en Isère », publication en ligne 1/04/2023, https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/01/contre-l-accaparement-de-l-eau-des-centaines-de-personnes-ont-manifeste-devant-l-entreprise-stmicroelectronics-en-isere_6167885_3244.html

19 : Le Postillon n°68, printemps 2023, « Comment STMicro pollue l’eau »

20 : Le Postillon : « Seule la contestation est sobre » (n°66), « Les élus prêts à nous assécher » (n°66), « Ultra méga-bassine de ST Micro : à quand un soulèvement ? » (n°67), « L’eau potable rançonnée par l’industrie des puces électroniques » (n°67), « Comment STMicro pollue l’eau » (n°68), « Grenoble, je ne boirai plus de ton eau » (n°68).

21 : Le Postillon n°66, « Les élus prêts à nous assécher ».

22 : Le Postillon n°67, « L’eau potable rançonnée par l’industrie des puces électroniques ».

23 : Raphaëlle Lavorel, « En Isère, l’industrie électronique boit toute l’eau », Reporterre, 12/01/2023, https://reporterre.net/En-Isere-l-industrie-electronique-boit-toute-l-eau.

24 : STMicroelectronics, Déclaration Environnementale 2021 – Site de Crolles.

25 : Mission Régionale d’Autorité Environnementale, Avis n 2022-ARA-AP-1475, 17/02/2023, https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf.

26 : Séverine Cattiaux, « Journée mondiale de l’eau : la Métropole de Grenoble lance des études prospectives sur le devenir de ses nappes d’eau potable », Place Grenet, 22/03/2023 .

27 : Eaux de Grenoble Alpes : Rapport d’activité 2021.

28 : Idem.

29 : Eaux de Grenoble Alpes : Rapport d’activité 2022.

30 : DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, Compte-rendu de la Commission de Suivi de Site Grésivaudan, 14/06/2023, https://www.auvergne-rhone-alpes.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/20230704-cr-css_gresivaudan_14.06_2023.pdf

31 : Communauté de Communes Le Grésivaudan, délibération DEL-2023-0094, 20/03/2023.

32 : Source ST rapportée oralement.

33 : Source anonyme.

34 : Arrêté préfectoral DDPP-DREAL UD38-2022-03-08

35 : Mission Régionale d’Autorité Environnementale, Avis n°2022-ARA-AP-1475, 17/02/2023, https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf.

36 : Communauté de Communes Le Grésivaudan, délibération DEL-2023-0094, 20/03/2023.

37 : Le Postillon n°66.

38 : Fil Twitter de « Batounet de Poisson », 13/01/2023, https://twitter.com/Qraaal/status/1613959450167054336

39 : Source anonyme.

40 : Le Postillon n°68, printemps 2023 : « Grenoble, je ne boirai plus de ton eau ».

41 : Mission Régionale d’Autorité Environnementale, Avis n°2022-ARA-AP-1475, 17/02/2023, https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf.

42 : « Eau – Zoom sur notre agglomération ». Présentation dans le cadre d’une conférence organisée par Echosciences, 22/02/2023, https://www.echosciences-grenoble.fr/communautes/cafe-sciences-et-citoyens-de-l-agglomeration-grenobloise/articles/le-monde-saura-t-il-partager-l-eau-equitablement

43 : Séverine Cattiaux, « Journée mondiale de l’eau : la Métropole de Grenoble lance des études prospectives sur le devenir de ses nappes d’eau potable », Place Grenet, 22/03/2023.

44 : Mission Régionale d’Autorité Environnementale, Avis n°2022-ARA-AP-1475, 17/02/2023, https://www.mrae.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/2023apara23_icpe_indstcrolles_38.pdf.

45 : Voir notamment Le Postillon n°68.

46 : Le Postillon n°66.