Analyse : Quelles victoires pour les Gilets jaunes ?
Depuis le début des luttes des Gilets jaunes, quelles sont les victoires obtenues ? Que penser notamment des quatre mesures annoncées par Emmanuel Macron en décembre ? Quelles sont les perspectives pour ce début d'année ?
Pour prendre un peu de recul, nous vous proposons deux analyses :
- Une récente interview de Serge Halimi, qui propose un bilan politique clair et concis de ces deux derniers mois : Gilets jaunes, quand tout remonte à la surface (émission Comme un bruit qui court, France Inter, 5 janvier 2019).
- Le résumé (ci-dessous) d'une interview de Gérard Filoche, qui décrypte les 4 mesures annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre pour tenter de "calmer" les Gilets jaunes.
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GÉRARD FILOCHE DÉCRYPTE LES ANNONCES D'EMMANUEL MACRON
(Les propos de Gérard Filoche ont été synthétisés. Pour écouter l'interview de Gérard Filoche, c'est ici, mais il faut s'abonner au média Là-bas.org)
1. Emmanuel Macron : "Le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 € par mois dès 2019."
Gérard Filoche : C'est un mensonge. Ce n'est pas du salaire, ce n'est pas 100 euros, et cela ne concerne pas tou-te-s les smicard-e-s.
Avant tout, il faut savoir que le SMIC est augmenté tous les 1er janvier de chaque année, en fonction de l'inflation. Ce n'est pas un cadeau de Macron, c'est la loi. Au 1er janvier 2018, le SMIC était de 1148 euros net et de 1498 euros brut. L'inflation est d'environ 2% en 2018. Le SMIC sera donc augmenté de l'ordre de 25 à 30 euros en janvier 2019.
Rappelons qu'il y a environ 1 675 000 smicard-e-s en France. Du fait de l'inflation, les smicard-e-s perdent de l'argent toute l'année. L'État compense cette inflation le 1er janvier, mais ne rajoute pas l'argent perdu par les smicard-e-s pendant l'année du fait de l'inflation.
Pour atteindre les 100 euros d'augmentation promis, l'État va donc verser de l'ordre de 65 à 70 euros aux smicard-e-s, sous forme de prime d'activités. Mais ce n'est pas du salaire : ce n'est pas le patron qui paye, c'est la CAF. Et qui va toucher cette prime ? Il faut d'abord la demander. Mais si votre conjoint-e a un salaire de plus de 1300 euros, vous n'êtes plus dans les normes pour la toucher. Entre celles et ceux qui ne seront pas au courant de cette prime, celles et ceux qui n'auront pas le temps ou l'énergie de la demander, celles et ceux qui auront des conjoint-e-s avec des salaires légèrement plus élevés que 1300 euros, beaucoup n'auront pas la prime.
Fondamentalement, Macron ne veut pas augmenter le SMIC. La philosophie de son gouvernement peut se résumer ainsi : "si on augmente le SMIC, ça crée du chômage". C'est ce que disait aussi Angela Merkel en 2013 en Allemagne. Elle a finalement été obligée de passer un accord et d'instaurer un SMIC à partir de 2015. L'instauration du SMIC en Allemagne a-t-elle créée du chômage ? Non, bien au contraire ! Cette mesure a permis de faire rentrer de la consommation chez celles et ceux qui avaient peu de moyens, ce qui a été plutôt bénéfique pour les entreprises.
Ce fût aussi le cas en mai 68. La hausse du SMIC, qui était à l'époque le SMIG, a été de 33% cette année-là. Le SMAG, le Salaire Minimal Agricole Garanti, a été augmenté de 55% pour rattraper le SMIG. Les entreprises ont très bien fonctionné. Ça a même été un moment de prospérité pendant deux ou trois ans. Les gens ont pu acheter des laves-linges, envoyer leurs enfants à l'Université, toute l'économie s'en est retrouvée mieux. Pour cette augmentation de 33%, il a fallu les émeutes et les grèves gigantesques de mai 68.
Les Gilets jaunes réclament un SMIC à 1300 euros net, soit environ 1700 euros brut. La CGT demande 1800 euros brut. À mon avis, c'est ce qu'il faudrait aujourd'hui. Si une véritable gauche gagnait en France, il faudrait ce choc salarial là.
Il faut savoir que 50% des salarié-e-s en France gagnent moins de 1700 euros net. C'est très bas. 98% des salarié-e-s gagnent moins de 3200 euros net. Ce n'est pas énorme. Depuis plus de dix ans, les salaires ont été bloqués en France, alors que les dividendes versés aux actionnaires ont explosé, avec 96 milliards de dividendes en 2018. Les 500 familles les plus fortunées de France possèdent 460 milliards d'euros. Il y a 600 milliards d'euros d'avoir Français dans les paradis fiscaux. L'entreprise Total est à 200 milliards d'euros de chiffre d'affaires, la moitié du budget de l'État à elle toute seule.
Ce que je veux dire, c'est que l'argent est là, il y en a plein, mais les salaires des Français-es ont été bloqués. Les Macroniens disent souvent : "Notre politique n'est pas d'augmenter le SMIC, parce que nous voulons que le travail paie". Mais il paie pour qui ? Pour eux, ce qui compte, c'est la marge qui est dégagée par les dirigeants, pas le salaire des travailleurs et des travailleuses. C'est philosophie est terrifiante.
2. Emmanuel Macron : "Les retraités constituent une partie précieuse de notre Nation. Pour ceux qui touchent moins de 2 000 € par mois, nous annulerons en 2019 la hausse de la CSG subie cette année."
Gérard Filoche : Cette augmentation de la CSG était désagréable. On enlevait un montant qui n'était pas énorme, mais à des gens qui ont déjà peu. L'État va rendre ce qu'il a enlevé à une partie des gens qui avaient peu, celles et ceux qui sont en dessous de 2000 euros par mois de retraite.
Sur 14 millions de retraité-e-s, 7 millions perçoivent autour de 1000 euros par mois. Ils et elles vont retrouver un peu de CSG, à partir de l'année prochaine. Mais ça ne rétablit pas pour les retraité-e-s le retard sur l'inflation. Les retraites ont été augmentées de 0,3%, alors que l'inflation va tourner autour de 2%. Donc, de toute façon, les retraité-e-s perdent environ 2% de leurs retraites cette année.
3. Emmanuel Macron : "Les heures supplémentaires seront versées sans impôts ni charges dès 2019."
Gérard Filoche : Cette mesure consiste à faire travailler plus celles et ceux qui ont déjà un boulot, au détriment de celles et ceux qui n'en ont pas. Elle encourage celles et ceux qui travaillent à faire des heures supplémentaires, qui ne sont pas payées par les patrons. Ces heures supplémentaires seront "désocialisées", c'est-à-dire sans cotisations sociales, en particulier pour la Sécurité sociale.
Cette mesure va représenter un manque à gagner d'environ 4 milliards d'euros pour la sécurité sociale. Qui va payer ? Les impôts, c'est-à-dire notamment les salarié-e-s, y compris celles et ceux qui ne font pas d'heures supplémentaires. Alors qu'il faudrait au contraire partager le travail, passer à la semaine de 32 heures, puis 28 heures, et trouver des solutions pour les 6,5 millions de chômeurs et chômeuses toutes catégories confondues.
4. Emmanuel Macron : "Je demanderai à tous les employeurs qui le peuvent de verser une prime de fin d’année à leurs employés".
Gérard Filoche : Il y a 1000 entreprises en France de plus de 1000 salarié-e-s. Elles pourront peut-être verser cette prime, étant données les marges qu'elles font, surtout si c'est défiscalisé. Il y a 1 million d'entreprises de moins de 11 salarié-e-s, elles ne pourront pas verser cette prime. Il y a environ 200 000 entreprises entre 11 salarié-e-s et 1000, et là les primes seront très aléatoires. Il faut savoir qu'Emmanuel Macron donne 40 milliards d'euros de CICE aux entreprises en 2019. Ces primes, ça représente 100 ou 200 millions d'euros pour les plus grosses entreprises, ça donnera un peu de paix sociale. Pour Orange, Altis, Illiade et LVMH, c'est une aumône par rapport aux superprofits qu'elles font.
La somme des quatre mesures annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre, c'est environ 10 milliards d'euros de budget supplémentaire pour l'État. Mais le CICE, c'est 40 milliards, l'ISF non rétabli, c'est 4 milliards, la Flat tax, le fait d'avoir un impôt plafonné à 30% quels que soient les revenus du capital, c'est entre 5 et 10 milliards. Il faut continuer la lutte !
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