A480 : La tribune des 135 scientifiques (texte intégral)

18/01/2019
autoroute-une-60e66ac82836e837454527.jpg

Mercredi 16 janvier, 135 scientifiques (dont 127 exercent dans l'agglomération grenobloise) ont publié une tribune dans le Dauphiné Libéré pour demander aux élu-e-s de "reconsidérer l'élargissement de l'A480".

De quoi s'agit-il ? Qui a signé ?

Voici le texte intégral de cette tribune, ainsi que la liste complète des signataires :

* * *

Rappelons que quatre habitant-e-s de l'agglomération grenobloise ont récemment déposé un recours en annulation contre l’élargissement de l’A480, et bientôt un référé en suspension.

Cette démarche juridique pourrait réussir à bloquer le chantier prévu début 2019.

Quels sont les arguments juridiques contre le triplement de l'A480 ?

Voici le texte diffusé par les requérant-e-s lors de leur conférence de presse du 7 décembre :

"Un recours contre la DUP du 23 juillet 2018 a été déposé par des habitants

Nous sommes 4 habitants de l’agglomération grenobloise, venant d’horizons divers, qui avons décidé d’en appeler à la justice contre le projet d’élargissement de l’A480 souhaité par AREA.

Ce projet est un très mauvais signe au moment où l’urgence climatique et sociale exige de toutes autres solutions. Faire croire que les bouchons vont disparaître par l’élargissement des routes est une illusion : partout dans le monde, les faits démontrent l’inverse.

Depuis des années les habitants et de nombreuses collectivités et associations militent pour transformer cette autoroute en boulevard urbain apaisé. Mais, en 2015, en échange de travaux supposés améliorer le trafic, le gouvernement Valls (appuyé par E. Macron, alors ministre de l’Economie, et S. Royal, ministre de l’Ecologie) prolonge la concession d’AREA sur son réseau autoroutier dans des conditions opaques.

Un feu vert politique au plus haut niveau de l’Etat est ainsi donné au projet d’élargissement, lequel ne correspond pas du tout au bilan de la concertation publique organisée localement en 2011 sur la question de l’aménagement de l’A480. Qu’importe, devant les 300 M€ placés sur la table par AREA, tout le monde cède et les pouvoirs publics abandonnent les solutions qui auraient permis de diminuer l’utilisation de la voiture dans les déplacements notamment périurbains.

En tant que parents d’enfants fréquentant des établissements situés à moins de 200 m de cet axe où transitent quotidiennement plus de 110 000 véhicules, mais aussi en tant que citoyens révoltés de nous voir imposé un tel projet dont nous doutons de la réalité de l’intérêt collectif, nous ne nous résignons pas.

Nous avons ainsi décidé d’utiliser les moyens légaux à notre disposition pour bloquer ce projet d’un autre âge, qui ne règlera rien sur la question des déplacements dans l’agglomération et la région urbaine. Nous ne nous résignons pas à subir toujours plus les pollutions dues aux déplacements automobiles qui atteignent la santé des populations, en premier lieu les personnes âgées et les enfants, et qui ne sont ni bonnes pour le climat au niveau global ni favorables à l’amélioration de notre environnement.

Si nous ne doutons pas qu’il faut faciliter la mobilité sous toutes ses formes, nous pensons que la congestion de l’A480 pourra se résoudre en favorisant un report massif vers les modes de transports collectifs et/ou actifs, et notamment des nombreux déplacements locaux et de courte distance.

Par ailleurs, nous n’oublions pas que ce projet porté par l’Etat et par l’entreprise AREA, filiale du géant du BTP Eiffage, et soutenu par la Métropole et le Département risque de constituer, à terme, un nouveau “barreau” permettant de poursuivre la réalisation de l’autoroute A51 vers la vallée de la Durance en doublant l’autoroute de la vallée du Rhône. Comment croire que le petit « verrou nord » l’empêchera, puisque le pont sur l’Isère sera élargi.

La puissance des logiques autoroutières et de leurs lobbies est bien connue, nous n’avons aucune confiance dans leur prétendue prise en compte de l’intérêt public, alors même que le coût du chantier sera largement remboursé à AREA par l’augmentation des tarifs et l’allongement de la durée de la concession.

Nous ne sommes pas opposés à la restructuration de l’échangeur du Rondeau qui, à lui seul, aurait permis d’atteindre les objectifs de fluidité, tout en permettant d’améliorer le cadre de vie de nombreux habitants par une meilleure insertion urbaine de cette voirie. Nous regrettons que les deux aménagements, échangeur du Rondeau et A480, aient été liés dans une même demande de DUP, le tout aboutissant à un dossier terriblement complexe et quasiment impossible à saisir totalement pour un citoyen moyen.

Nous avons déposé le 21 septembre 2018 un recours au tribunal administratif de Grenoble contre l’arrêté de Déclaration d’Utilité Publique signé par le Préfet de l’Isère le 23 juillet 2018.

Nous estimons que ce projet n’a pas été mené dans les règles, notamment que la concertation préalable obligatoire pour ce type de travaux n’a pas été faite. La concertation de 2011 portait sur un projet très différent, beaucoup moins cher (130 M€), transformant l’A480 en route plus apaisée à 70 km/h, diminuant ainsi les pollutions et les nuisances environnementales : en jouant sur la géométrie des voies et en utilisant la bande d’arrêt d’urgence dans le tronçon central aux heures de pointe pour améliorer la circulation, ce projet ne fragilisait pas la digue et conservait la végétation et la biodiversité.

Cette concertation n’a pas été reprise pour le nouveau projet.

Le seul point positif de la dernière enquête publique, que beaucoup jugent bâclée, voire honteuse, est précisément qu’elle reconnaît que la concertation obligatoire n’a pas été reprise après 2012 avec les habitants, comme l’impose la loi.

Nous soulevons de nombreuses autres irrégularités dans la préparation de la DUP :

- la faiblesse de l’analyse des solutions alternatives au projet d’élargissement, lesquelles sont noyées en 2 pages dans un dossier qui en compte 1500;
- l’absence de demande d’avis au SMTC en préalable à l’ouverture de l’enquête publique ;
- la non-levée des recommandations de la commission d’enquête qui étaient en fait de vraies réserves, transformant l’avis de la commission en avis défavorable;
- la non prise en compte des recommandations de l’autorité environnementale concernant notamment  les impacts de la limitation à 70km/h, l’évolution de la périurbanisation et ses effets sur le trafic, le trafic induit
- et l’insuffisance d’informations sur la tenue de la digue protégeant une grande partie de la ville de Grenoble des inondations.

Nous déposerons dans les semaines qui viennent un référé suspension auprès du tribunal pour faire suspendre les travaux en attendant que le recours soit jugé au fond.

Xavier Bodin, Christine Bollaert, Serge Bouyssi, Jean Jonot"

* * *

Rappelons que la commission d'enquête sur l'autorisation environnementale pour l'élargissement de l'A480 en deux fois trois voies a récemment rendu son verdict : sans grande surprise, et sans tenir compte des vives critiques exprimées, les commissaires ont validé sans réserve le projet d'AREA.

Les surprises étaient en revanche nombreuses à la lecture du rapport de la commission d'enquête...

Quelles surprises ? Pour les découvrir, nous vous recommandons deux articles :

- Une analyse détaillée du Collectif pour la Gratuité des Transports publics dans l'agglomération grenobloise  : Le rapport Le rapport à deux balles des trois enquêteurs.

- Le communiqué de presse d'Alternatiba Grenoble et du Collectif pour des alternatives au projet d'élargissement de l'A480, reproduit ci-dessous :

"La commission d'enquête chargée d'analyser le dossier du projet A480 au regard des enjeux environnementaux vient de rendre son rapport.

Cette commission donne un avis favorable au projet, sans aucune réserve mais accompagné de cinq recommandations.

Cette décision est bien sûr une déception pour nous, les associations, les centaines de citoyen.e.s et de pétitionnaires qui se sont unanimement mobilisés contre ce projet à l'occasion de cette enquête.

Ces conclusions ne doivent pas masquer les manquements, erreurs et prises de position partiales que nous avons constatés dans ce rapport.

A la lecture des documents, nous remarquons que les membres de la Commission n'avaient pas les aptitudes techniques et scientifiques pour prendre la mesure des enjeux environnementaux d'un tel projet et n'ont pu que répéter les éléments de langage donnés par l'Etat et AREA.

A titre d'exemple nous pouvons citer la page 77 du rapport d'enquête, ouvertement climato-sceptique : "les conclusions du GIEC sont actuellement contredites par un certain nombre de scientifiques. Qui croire alors ?".

Nous aurions aimé que la Commission cite les sources contredisant le GIEC, instance pleinement reconnue par la communauté scientifique et internationale.

Ce parti-pris et ce manque de sérieux jette le discrédit sur l'impartialité des membres de la Commission d'enquête au regard d'un problème environnemental central.

Il n'est alors pas surprenant que le rapport ait "oublié" de comptabiliser 460 signatures de la pétition du collectif citoyen pour des alternatives à l'A480.

Il oublie aussi de dire que seuls 6 avis sont favorables au projet sur les 182 contributions.

La Commission reconnaît l'absence de concertation préalable prévue par la loi... mais s'empresse aussitôt d'essayer de dédouaner les porteurs du projet pour ce manquement réglementaire grave.

Nous constatons que la Commission d'enquête ne s'est pas sérieusement penchée sur des sujets essentiels que nous avons soulevés, à commencer par une communication biaisée de certaines collectivités laissant entendre que le projet avait déjà toutes les autorisations (journal de la Métropole - septembre - encart en Une "Projet A480 / Rondeau - feu vert !").

Plus globalement le fait que le réchauffement climatique et la pollution de l'air soient des questions exclues d'une telle enquête environnementale pose un problème de fond majeur.

Nous considérons que nos revendications sont plus que jamais d'actualité à l'heure où les alertes environnementales se multiplient et où le coût croissant de l'utilisation de la voiture devrait nous faire privilégier des investissements majeurs dans les alternatives de mobilité pour réduire notre dépendance au pétrole.

Nous continuerons de nous mobiliser pour défendre nos propositions sur ce projet :

- la limitation de la vitesse à 70km/h sur la totalité de l'A480 et de la Rocade

-  l'implantation de murs anti-bruit le long de tous les quartiers traversés

- la création de voies réservées aux bus et au covoiturage sur les 3èmes voies créées sur l'A480 et la mise en place de ligne de bus express sur ces tracés

- le respect de l'emprise autoroutière actuelle pour ne pas accroître la bétonisation et les déboisements

Ce projet doit être revu pour intégrer pleinement le respect du cadre de vie des riverains et de l'environnement dans toutes ses dimensions."

Pour en savoir plus ou rejoindre cette lutte : alternativesa480 (at) gmail.com

* * *

Pour en savoir plus sur l'élargissement de l'A480, nous vous recommandons également le dossier spécial A480 d'ici Grenoble.