Fac de médecine de Grenoble et conflits d'intérêts

10/02/2017
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C’est une première en France. Les facultés de médecine viennent d’être classées sur l’indépendance qu’elles garantissent à leurs étudiant-e-s vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques. Ce travail inédit, inspiré des travaux de l’Association américaine des étudiants en médecine, a été rendu public le 9 janvier dernier par l'association Formindep.

Comment se situe la faculté de médecine de Grenoble dans ce palmarès ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé l'initiateur de ce classement, Paul Scheffer, administrateur du Formindep et ancien Grenoblois.

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Ici Grenoble : Comment avez-vous établi ce classement ? Comment mesurer l'indépendance des facultés de médecine par rapport aux laboratoires pharmaceutiques ?

Paul Scheffer : Nous avons étudié 37 facultés de médecine. Nous sommes partis de questions très simples : Les facultés acceptent-elles des financements de l'industrie pharmaceutique ? Les professeurs précisent-ils leurs éventuels conflits d'intérêts au début de leurs cours ? Les étudiant-e-s ou le corps enseignant ont-ils le droit de recevoir des cadeaux d'entreprises ? Certains cours sont-ils donnés par des conférenciers financés par des groupes privés ? Des enseignants signent-ils des articles scientifiques rédigés par des industriels ? Les représentants commerciaux sont-ils autorisés à organiser des événements promotionnels au sein du campus ? À partir de ces questions, nous avons établi treize critères et un système de notation sur 26 points.

Comment avez-vous obtenu vos informations ?

Nous avons contacté les bureaux des Doyens de chaque faculté, avec de multiples relances en cas de non-réponse. Nous avons fouillé les sites internet et les documentations publiques des facultés. Nous avons également fait appel à nos réseaux personnels, à des enseignant-e-s des facultés et à des expert-e-s du champ médical.

Les facultés ont-elles été coopératives ?

Pas vraiment. Seuls trois Doyens nous ont répondu, en dépit de nombreuses relances de notre part. La coopération sur ce sujet ne semble pas aller de soi pour les équipes dirigeantes des facultés.

Quels sont vos résultats ?

La situation française, comme on pouvait l'imaginer, n’est pas brillante. Selon notre étude, seules 9 facultés sur 37 ont pris des initiatives pour se prémunir contre des conflits d’intérêts entre leur établissement, leurs enseignant-e-s et l’industrie des médicaments. Les 28 autres n'ont aucune mesure en ce sens. Dont la faculté de médecine de Grenoble.

La faculté de médecine de Grenoble a donc, selon votre classement, la note de 0/26... Quelles sont les facultés en tête du classement ?

Les facultés en tête du classement n'ont pas un score formidable. La faculté de Lyon Est arrive en tête, avec un score de 5/26. Celle d’Angers a 4/26. Suivent sept établissements ex aequo, avec chacun 1/26 : Aix-Marseille, Lyon Sud, Paris Descartes, Paris Diderot, Rennes 1, Strasbourg et Toulouse Purpan. Précisons qu’à ce jour, aucune faculté n’a rédigé de document pour définir sa politique officielle en matière de conflit d’intérêts, comme cela existe dans les universités américaines, par exemple à Stanford.

Depuis les scandales autour du Mediator, pensez-vous que les étudiant-e-s en médecine sont de plus en plus conscient-e-s de la nécessité d'indépendance des facultés par rapport aux laboratoires pharmaceutiques ?

Il faut rappeler que le laboratoire Servier a, des années durant, organisé les épreuves blanches des ECN, le concours qui clôture la sixième année des études. Ce n’est qu’après que le scandale du Mediator a éclaté qu’elle a arrêté de le faire.

Mais pour répondre à votre question, bon nombre d’étudiants estiment aujourd’hui que l’industrie pharmaceutique est un partenaire tout à fait légitime ne posant pas de problème particulier, comme on l’entend de la bouche de médecins et d'enseignant-e-s. Ils se croient souvent immunisés contre l’influence des firmes, en dépit d’études concordantes montrant le contraire, comme celle du chercheur Inserm Bruno Etain portant sur plus de 2000 étudiant-e-s. La réflexion sur l’indépendance vis-à-vis des firmes peut donc se heurter à des résistances, voire de l’hostilité.

Quels sont vos espoirs, suite à la publication de votre classement ?

Nous espérons fournir un levier dont pourront s’emparer les enseignant-e-s et les étudiant-e-s décidé-e-s à changer la situation. L'enjeu est de taille. C’est durant les études que se forgent les valeurs, les normes, les habitudes et le réseau amical, que certains plis plus ou moins heureux se prennent, parfois pour la carrière entière. Pour ma part, j’ai été convaincu de l’importance de la formation initiale dans les pratiques de toutes les professions en lisant un témoignage à charge contre une école de journalisme prestigieuse, Les petits soldats du journalisme, publié en 2003 par François Ruffin.

Quel message donneriez-vous aux étudiant-e-s de la faculté de médecine de Grenoble ?

Pour faire bouger les lignes, rien ne remplace l’engagement des étudiant-e-s sur les bancs des facultés. Le cas d’Harvard est devenu emblématique suite à un article du New York Times. Celui-ci relatait comment les étudiant-e-s de cette université américaine de premier plan avaient interpellé leurs enseignants après l’attribution d’un F à l’établissement par l’Association américaine des étudiants en médecine. Ils avaient également découvert qu’un des professeurs présentait de façon avantageuse les médicaments anticholestérol dans ses cours et minimisait leurs effets secondaires, alors qu’il était par ailleurs consultant salarié de dix firmes pharmaceutiques, dont cinq commercialisaient ces médicaments. Ces liens n’étaient pas déclarés. Aujourd’hui, Harvard est gratifiée d’un A au classement.

Y-a-t-il certaines facultés, en France, où des étudiant-e-s se mobilisent plus qu'ailleurs ?

La principale association étudiante, l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), s’est emparée de la question dès 2014. À la rentrée 2016-2017, l’ANEMF a imprimé et distribué aux étudiants 8 000 livrets : Pourquoi garder son indépendance face aux labos pharmaceutiques ?. À Brest, un étudiant de l'Anemf a été chargé de réaliser un cours et de proposer une charte à la fac de médecine sur ces questions. À Nice, un collectif d'étudiant-e-s et d'enseignant-e-s proposent les rencontres de l'Esprit Critique Niçois depuis deux ans. Je n'ai pas eu d'échos similaires à Grenoble, en tout cas pour le moment.

Nous espérons que la publication du premier classement Formindep et les projets existants pourront encourager les étudiant-e-s et enseignant-e-s grenoblois-es à prendre des initiatives à leur tour. La faculté pourra ainsi donner davantage les moyens aux futurs médecins de déjouer les multiples stratégies d’influence les visant avec, pour cible ultime, leurs patient-e-s. Gageons que les résultats de la deuxième édition de ce classement, prévue fin 2017, seront meilleurs et le nombre de facultés volontaires pour partager leurs informations, plus élevé.

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Pour en savoir beaucoup plus, nous vous recommandons :

- Le Classement des facultés de médecine française en matière d'indépendance du Formindep

- Une enquête de Reporterre : Les cinq méthodes de l’industrie pharmaceutique pour nous bourrer de médicaments inutiles

Illustration : Droits réservés, journal La Croix