Pour les bus et les tram gratuits
Ce vendredi 12 mars à midi devant la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Isère (place André Malraux), le Collectif pour la gratuité des transports publics dans l'agglomération grenobloise organise un rassemblement pour une mesure radicale contre la pollution de l'air, le désastre climatique et la fin du pétrole : les bus et les trams gratuits. Toute l'année. Pour toutes et tous.
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La gratuité des transports en commun est-elle possible économiquement ? D'autres villes ont-elles déjà fait ce choix ? Les élu-e-s de l'agglomération grenobloise sont-ils favorables à ce projet ? Comment participer à cette lutte ?
Pour en savoir plus, ici Grenoble a interrogé plusieurs membres du Collectif (2017).
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Ici Grenoble : Quand et comment est né le Collectif pour la gratuité des transports publics dans l'agglomération grenobloise ?
Courant 2014, nous avons organisé plusieurs rencontres entre des syndicats, des associations et des partis politiques autour de l’idée de la gratuité des transports en commun. Au fil des discussions a émergé la nécessité de créer un collectif, qui regroupe aujourd’hui des syndicats (CGT, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, Solidaires Étudiants), des organisations politiques (PAG38, PCF, Ensemble !, les Alternatifs, NPA), et des associations (ATTAC, INDECOSA-CGT).
Quelles sont les villes ou les agglomérations ayant fait récemment le choix des transports publics gratuits ?
En France, à partir de septembre 2018, le réseau de transport de Dunkerque sera gratuit. Avec près de 200 000 habitant-e-s, Dunkerque sera la plus grosse agglomération en France à le faire, plaçant Aubagne, gratuite depuis 2009, en 2ème place avec plus de 100 000 habitant-e-s. À Niort, la gratuité a aussi été mise en place depuis septembre 2017.
Précisons que la décision d'Aubagne a fait l'objet de nombreuses recherches et articles [ici, là ou là]. Globalement, on constate une augmentation continue du nombre de passagers depuis la mise en place de la gratuité, soit un quasi triplement de la fréquentation.. Il ne s'agit pas d'une augmentation liée à des personnes qui feraient des tours de bus le dimanche pour le plaisir. Le report modal, c'est-à-dire le fait de laisser sa voiture pour privilégier le transport en commun, est prouvé : +35% !
En Allemagne, cinq villes envisagent la gratuité des transport en commun urbains, pour répondre aux menaces de la Commission Européenne. Cette dernière menace de placer neuf pays, dont la France, devant la Cour de Justice pour non respect des normes de pollution atmosphérique.
Au niveau international, Kaohsiung, la troisième plus grande ville de Taïwan, a mis en place trois mois de gratuité cet hiver, pour pallier la pollution.
Nous ne comptons pas les innombrables agglomérations dans le monde entier qui proposent la gratuité partielle, soit sur une ligne, soit sur une période, soit pour une catégorie particulière d'usagers et d'usagères. Car, pour nous, la gratuité ne peut être que totale et organisée en service public, gérée conjointement par les usagers, les salarié-e-s des régies de transport et les riverain-e-s.
Les premières questions que l'on se pose quand on parle de gratuité des transports publics sont : Combien ça coûte ? Est-ce réaliste financièrement ? Quel est le coût pour les collectivités locales par rapport au fonctionnement actuel ? Qui payera ? Dans une période où l'on parle sans cesse d'austérité budgétaire, les collectivités ont-elles concrètement les moyens de cette dépense ?
Commençons par rappeler comment sont organisés les transports en commun. Dans l'agglomération grenobloise, la SEMITAG (Société d'économie mixte des transports publics de l'agglomération grenobloise) est une délégation de service public en charge de l'organisation des transports et de la billeterie. Le SMTC (Syndicat Mixte des Transports en Commun de l'Agglomération Grenobloise) organise cette délégation de service public et son financement. Le SMTC est composé d’élu-e-s de la Métropole et du Conseil Départemental.
Pour la plupart des réseaux de transports en commun en France, la part des usagers dans les recettes est inférieure à 20%. Elle est de 16% pour le SMTC. L’essentiel du financement vient des entreprises via le versement transport (53%), de la Métro et du Conseil Départemental (43%) [plus de détails sur les chiffres ici et là]. Notons que dans les 16% de financement des transports en commun par les usagers, il y a aussi la participation des employeurs aux abonnements de leurs salarié-e-s.
Sans le financement des entreprises et des collectivités locales, le prix du billet serait donc très élevé...
C'est clair. Sans subventions, l'abonnement serait de l’ordre de 3000 euros par an pour chaque usager !
Rendre les transports en commun gratuits, c'est donc supprimer 16% des recettes du SMTC ?
En réalité, c'est moins de 16%. Si on supprime les frais de billettique et si on diminue les coûts liés au changement de mission des contrôleurs, nous estimons que le coût de la gratuité devrait être de l’ordre de 10% des recettes. Cela correspondrait à une vingtaine de millions d'euros de budget par an.
20 millions d'euros par an... C'est une somme difficile à mesurer. Donnons quelques chiffres, à titre de comparaison. Le stade des Alpes a coûté environ 75 millions d'euros en 2008, et nécessite 1 million d'euros de subventions publiques par an. Le centre de recherches Minatec a coûté environ 150 millions d'euros en 2006. Les collectivités locales et l'État vont investir plus de 250 millions d'euros pour l'installation de la fibre optique en Isère. Où trouver les 20 millions d'euros pour des transports en commun gratuits, chaque année ?
En nous inspirant des nombreux exemples venant d'autres communautés d'agglomération en France et d'ailleurs, nous étudions actuellement les différents leviers qui permettraient de lever ces fonds. Et ces leviers sont multiples ! Sans être exhaustif, on pourrait jouer sur la part du versement transport (impôt que les entreprises de plus de 10 salariés paient systématiquement aux collectivités locales) ou sur le taux de TVA appliqué aux transports (il a augmenté de 5% jusqu'à 10% sous les présidences Sarkozy et Hollande). C'est en jouant sur ces différents leviers, ou d'autres encore non explorés, que les collectivités locales pourront se donner les moyens de faire ce choix politique.
Mais prenons un peu de hauteur, car la question n'est pas seulement économique. Mettre en place la gratuité a un coût, c'est évident. Cependant, globalement, n'y gagne pas-t-on tous et toutes si la gratuité des transports en commun s'avère être un levier pour réduire l'usage des voitures individuelles pour les déplacements au quotidien ? Si, comme cela a été observé à Aubagne, les "coûts indirects" comme ceux liés à la santé (pollution, accident du travail lors du transport domicile-travail) et les coûts économiques (bouchons) sont diminués ? Si le pouvoir d’achat des personnes empruntant les transports en commun est amélioré ?
Dans l'agglomération grenobloise, des avancées sont-elles en cours ? Les élu-e-s de la Métropole et les dirigeants du SMTC semblent-ils de plus en plus réceptifs ?
Non, malheureusement, la gratuité n'arrive qu'au septième jour d'un pic de pollution ! C'est regrettable que ce sujet n'avance pas à Grenoble, malgré la mise sur la place publique de cette question, en grande partie grâce aux multiples interventions de notre Collectif.
Pire, la perspective de la gratuité recule, avec la baisse des subventions décidées en 2016 par le Conseil Général et La Métro. Cette baisse est de près de 35 millions d'euros, soit ce qu'on a calculé comme étant le "coût" à court terme de la perte des recettes commerciales sur une année, si la gratuité avait été décidée à ce moment. Par ailleurs, sous prétexte de mettre en place des tarifs "solidaires", la SMTC a augmenté le prix de tous les autres abonnements...
Le principal sujet d'actualités des transports cette année, c'est l'élargissement de l'A480 et l'aménagement du Rondeau, pour un total d'au moins 380 millions d'euros. Pourriez-vous nous faire un comparatif du nombre d'usagers concernés et du budget, par rapport à la gratuité des transports publics dans l'agglomération ?
Notre collectif s'est positionné de façon assez claire : Oui (en tout cas "non-opposition") à l'aménagement du Rondeau, mais non à l'élargissement de l'A480. Oui à l'aménagement du Rondeau, car cette infrastructure est totalement obsolète même pour les transports en commun : c'est dangereux ! En revanche, nous sommes opposés à l'élargissement de l'A480. Le coût des travaux d'aménagement de l'A480 est annoncé à 265 millions d'euros, mais on parle de plus de 300 millions d'euros au final.
Au vu des chiffres dans les tableaux de la pièce F du dossier officiel pour la portion de l'A480, il est précisé qu'entre 40 000 et 50 000 véhicules circulent chaque jour en moyenne dans l'année par sens, donc de 80 000 à 100 000 dans les deux sens. D'ailleurs, un graphique montre que ce trafic a été très stable entre 2004 et 2014. Cela n'empêche pas AREA de "prévoir" une détérioration des temps de parcours à l'horizon 2020, date prévue de la mise en service des 2x3 voies.
Par exemple, entre l'échangeur des Martyrs et celui des Etats Généraux, de 16,5 minutes le matin et 17 minutes le soir, on passerai à 19 minutes le matin et 28 minutes le soir. Et AREA de vendre un temps de parcours amélioré par les travaux de 12.5 minutes le matin et 13.5 minutes le soir. On se demande ce qui justifie que des calculs similaires effectués sur les parcours St-Egrève - Claix et Etats Généraux - Claix aboutissent aussi à une amélioration notoire des temps de parcours, alors que le projet repose sur le maintien de verrous au Nord et au Sud du tronçon élargi à 2x3 voies. Pour résumer, seulement un tiers des véhicules bénéficieraient d'un gain de temps de 4 minutes le matin et de 3.5 minutes le soir. Cette remise en cause du calcul du temps de parcours est également détaillé dans un article de Place Grenet.
Pour notre part, nous pensons que l'augmentation de voies augmentera le trafic. Ce phénomène est d'ailleurs bien connu : l'augmentation des voies incite plus de gens à prendre leurs voitures, et donc revient à saturer le réseau peu de temps après. Tout le monde y perd, car au final il y a plus de voitures roulantes et dans les bouchons !
Et pour les transports en commun, quels sont les chiffres ?
Selon son rapport d'activité de 2016, la SEMITAG a réalisé 87 700 000 de voyages soit 348 700 voyageurs et voyageuses par jour. Les gains attendus du report modal, c'est-à-dire le fait de laisser sa voiture pour utiliser des modes de transports doux, vont au-delà de la disparition des embouteillages : notre Mémento recense les coûts environnementaux (réchauffement climatique), de santé publique (pollution) et sociaux (accidents) de l'option "tout voiture". Seule la gratuité des transports en commun est à même de répondre à ces défis. D'ailleurs, les élu-e-s nous donnent raison indirectement, puisqu'ils décident de la gratuité des transports lors de pics de pollution. Alors, vive la pollution ? Nous avions écrit à l'époque qu'un premier pas avait été franchi, et qu'il suffisait de prolonger la gratuité toute l'année...
En attendant la gratuité, quelles sont vos autres revendications concernant les transports publics dans l'agglomération ?
Clairement, nous souhaitons une augmentation quantitative et qualitative de l'offre de transport : il faut que le plus grand nombre puisse bénéficier d'infrastructures fiables et dont les fréquences soient adaptées aux besoins. Les besoins en transports collectifs sont énormes : sur tout le Grésivaudan, Voironnais et le Trièves !
Il faut un rapprochement effectif des syndicats organisateurs des transports (SMTC, tougo, pays voironnais) et une collaboration entre les territoires au lieu d'une concurrence destructrice. Il est par exemple aberrant que le parking relais TER à Moirans soit maintenant payant ! Une collaboration est nécessaire avec la région et les trains express régionaux : cette coordination entre tous ces acteurs du transport collectif est essentielle si on veut diminuer l'impact de la pollution.
L'Allemagne va peu à peu bannir les voitures diesel des villes : il n'est pas impossible que de telles mesures arrivent en France dans quelques années (1). Tout comme les vignettes crit'air, ce genre de restrictions, au-delà d'avoir peut-être un effet sur la qualité de l'air, ont surtout un effet "anti-pauvre". C'est pourquoi ces mesures doivent absolument s'accompagner de mesures audacieuses et justes pour tout le monde : la mobilité est un droit pour tout le monde !
Certaines entreprises ont compris qu'elles ont à y gagner à voir plus d'employé-e-s venir en transport en commun, c'est pourquoi elles mettent en place des "Plans de mobilité" et remboursent tout ou partie des abonnements de transport en commun de leurs salarié-e-s. Ces initiatives sont à encourager, mais cela passe aussi par un engagement plus conséquent des entreprises : c'est pourquoi nous souhaitons que la taxe du "versement transport" payée avec différents taux selon où se situent les entreprises du Y, soit augmentée et harmonisée sur tout le territoire.
Enfin, ces dernières années, la lutte contre la fraude est devenue une vraie lubie pour tous les organismes de transports : la loi Savary de mars 2016 qui s'appelle " Loi relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs" a été votée avec le spectre de la peur terroriste. Mais elle vise principalement les "fraudeurs". Le fait même qu'une loi puisse réunir dans le même article fraudeurs et terroristes est juste incroyable !
À Grenoble cela se traduit par des contrôles de masse : une vingtaine d'agents investissent le tram et ratissent tout le monde. Il n'est pas rare de voir les agents accompagnés de la police. Ainsi s’exerce le contrôle des papiers d'identité, ce qui fait d' un "banal" contrôle de ticket de transport un contrôle d'identité visant la population étrangère et potentiellement en difficultés avec ces papiers. Ce n'est pas acceptable ! On est loin de ces "transports apaisés" !
Quelles sont les actions prévues par le Collectif en 2018 ?
Nous invitons tout le monde à venir faire entendre sa voix au prochain conseil de la métro qui aura lieu le 6 avril (plus de précisions à venir sur notre site). Ce sera l'occasion pour nous de pouvoir rappeler lors d'une intervention officielle dans les débats que la gratuité des transports en commun, c'est une réalité, c'est une mesure audacieuse et juste pour réduire la pollution et offrir une mobilité juste pour tout le monde!
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