Coline Fay : À moitié libre

07/03/2024
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En novembre dernier au Sénégal, Coline Fay, une militante écologiste et anticolonialiste originaire de Claix, a été arrêtée lors d'une manifestation pacifique en soutien au leader de l'opposition, Ousmane Sonko. Incarcérée pour "complot contre l’autorité de l’État", elle risquait la prison à perpétuité. Après 61 jours d'incarcération, elle a été libérée.

Depuis son retour en France, Coline Fay se sent à moitié libre. Pourquoi ? Que se passe-t-il au Sénégal ? Combien de personnes sont encore emprisonnées pour raisons politiques ?

Voici les explications et l'appel de Coline Fay :

* * *

"Le téléphone sonne, ma grand-mère me salue à l’autre bout du fil. Je savoure avec joie notre échange dont j’ai été privée pendant 61 jours lors desquels j’ai été emprisonnée au Sénégal.

J’ai été arrêtée le 17 novembre 2023 à Dakar lors d’une manifestation en faveur d’Ousmane Sonko, devenu principal opposant au régime de Macky Sall suite à son engagement contre la corruption.

Ma grand-mère se nomme Françoise Fay et je recueille les histoires qu’elle me raconte comme des cadeaux. Lors de sa carrière d’institutrice à Pont de Claix, elle s’est engagée syndicalement pour défendre l’école publique et plus largement pour le respect des enfants.

Dans les années 1970, elle s’était vaillamment opposée avec les habitants de Claix pour la défense de la Tourbière du Peuil, au cœur du Vercors, qui risquait d’être aménagé en zone de tir militaire.

Elle me raconte : "Lorsqu’on voyait les camions militaires arriver dans le village, le prêtre sonnait les cloches de l’Eglise et des habitants de tout âge grimpaient à toute vitesse à travers les champs pour rejoindre les deux barrages qui avaient été installés sur les deux routes accédant au Peuil.

Des cabanes avaient même été construites contre le froid et la pluie, et des heures de permanence organisées pour faire le guet et prévenir les autres si les camions militaires arrivaient. Moi c’était le jeudi, comme je n’avais pas classe. Si les camions arrivaient, on se mettait au milieu de la route ! C’est grâce à notre cohésion dans la lutte qu’on a réussi à protéger les gens qui y habitaient, ainsi que la faune et la flore, contre ce projet militaire."

Ma grand-mère me demande des nouvelles du Sénégal et le timbre de ma voix s’attriste. Maty est toujours emprisonnée.

Après ma sortie de prison, j’ai toujours dit que je ne me sentais qu’à moitié libre, car je laissais derrière moi mes codétenues politiques qui avaient pris soin de moi comme d’une petite sœur.

L’une d’entre elle, Maty Sarr Niang, est journaliste pour Kewoulo, mère de deux jeunes enfants. Elle dénonce depuis des années les injustices de son pays.

Elle a été enfermée le 14 mai 2023 pour "acte et manœuvre de nature à compromettre la sécurité de l’état", cette formule magique utilisée systématiquement par le juge du 2è cabinet Mamadou Seck pour envoyer directement hommes et femmes à la case prison.

Les personnes ayant une certaine appartenance politique sont ciblées, d’autres sont "ramassées" les jours de manifestations et filtrées lors des interrogatoires policiers lors desquels on leur demande parfois "Danga bëgge Sonko ?" (tu aimes Sonko ?). Le Procureur Abdou Karim Diop a systématiquement refusé les demandes de libertés provisoires introduites par les avocats de Maty.

Le peuple sénégalais fait aujourd’hui face à un régime autoritaire, et de nombreuses femmes se sont levées pour défendre le projet que porte Ousmane Sonko, leader du PASTEF (Parti Africain du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité) lui aussi en prison.

L’étiquette de "démocratie exemplaire" que notre gouvernement français attribue au Sénégal cache des tirs à balles réelles pendant les manifestations, le recrutement de milices (nervis) payées pour tuer, de la torture en garde-à-vue et des centaines de prisonniers politiques dont plusieurs femmes à la Maison d’Arrête pour Femmes (MAF) de Liberté 6 à Dakar.

C’est là-bas que j’ai passé deux mois dans des conditions difficiles dues entre autres à la surpopulation. Nous étions une trentaine dans ma cellule, dont une femme enceinte avec qui je partageais un matelas une place et des enfants de moins de deux ans. Ils étaient nombreux à faire leurs premiers pas dans la petite cour hostile de la prison.

Parfois la nuit, je restais éveillée tard, incapable de trouver le sommeil. Alors je regardais autour de moi et mon cœur se serrait. Plus aucun espace au sol n’était libre dans la chambre lorsque tout le monde était allongé, certaines femmes ne pouvait même pas étendre leurs jambes pour dormir, les grand-mères et les jeunes mamans dormaient là entassées, pêle-mêle. Les heurts entre détenues étaient fréquents, faute de place.

Quelques semaines avant mon incarcération, Maty et d’autres détenues politiques ont mené une grève de la faim pour dénoncer l’arbitraire de leur détention et les conditions carcérales. Alors que c’est un droit fondamental et le seul moyen de résistance d’un prisonnier, la directrice de la MAF avait déclaré plusieurs sanctions contre l’ensemble des détenues, provoquant ainsi une animosité dangereuse de la part des détenues de droits communs envers les détenues politique en grève.

A ceci s’ajoutait le mépris de la directrice qui avait déclaré aux grévistes : "kou fi dé ma woo procureur" ("celle qui meurt ici j’appelle le procureur").

Maty comptait les jours qui nous séparaient de la date de l’élection présidentielle, notre horizon prometteur de liberté. Mais le 03 février 2024, à la veille du début de la campagne, Macky Sall décide de faire passer par la force un décret anticonstitutionnel pour annuler les élections. Maty est donc toujours derrière les barreaux qui la séparent de sa maman malade et de ses enfants.

Le 25 février 2024 marque un jour de deuil national pour la démocratie sénégalaise. De cette déclaration de quelques minutes s’ensuivront nombres de manifestations populaires et une violente répression. Prosper, Alpha, Modou, Landing. Ce sont les noms des quatre jeunes qui seront tués.

Hommage à eux.

Dans un article du 18 avril 2023, mois d’un mois avant d’être à son tour arrêtée, Maty écrivait : "Il faut aussi arrêter les mensonges d’Etat pour des vérités qui font avancer le pays. Cesser d’emprisonner les citoyens qui n’ont commis que le seul délit d’exprimer leurs opinions".

Les cellules de la prison donnaient sur une petite cour où nous échangions beaucoup.

- C’est quoi le plus difficile pour toi, en prison ?
- C’est l’injustice, la différence de traitement par rapport aux autres détenues. Le fait d’être particulièrement surveillées lors des visites, d’êtres interdits d’appels à l’étranger, contrairement aux autres.
- C’est quoi qui te fait tenir..?
- Par respect aux martyrs de la démocratie, je ne me plaindrai jamais.

Maty faisait alors référence aux nombreux jeunes tués par la police et les nervis durant les manifestations. Les enquêtes promises n’ont jamais été ouvertes... Elle titrait le 24 mars 2023 : "Sénégal : La mort des manifestants reste toujours impunie…" avec une photo de Mamadou Korka Ba tué le 17 mars 2023 à Bignona, l’un des trois départements de la région de Ziguinchor, dans la région de Casamance située au sud du Sénégal.

Pour la réalisation de ce texte, je m’entretiens avec l’un de ses amis, Omar*. Il me confie, bouleversé, que la fille de Maty l’a récemment appelé pour lui demander : "Quand est-ce que Maman va sortir ?"

Puisse-t-elle être libre demain."

Coline Fay, relecture et conseils de Myriam

*le nom a été modifié.

* * *

Voici un précédent texte de Coline Fay, juste avant sa libération :

"Paris – Dakar

Pourtant, c'est simple - malgré toutes leurs questions - Comment prétendre être vivant sans prendre position ? *

Du fond de ma cellule de prison, j'écris pour calmer l'indignation. Les interrogatoires au commissariat et au tribunal tournent et retournent dans mon esprit.

Arrivée au Sénégal il y a un an pour chercher du travail, j'ai pris part à un rassemblement pacifique en soutien au leader de l'opposition, Ousmane Sonko. La police décide d'interpeller une trentaine d'entre nous pour nous amener au commissariat. Après quatre jours de garde à vue et trois jours dans la cave du tribunal à attendre la notification du juge, je suis placée sous mandat de dépôt et mon nom vient s'ajouter à la liste des1000 prisonniers politiques.

La démocratie sénégalaise, applaudie par le gouvernement français, cache des tirs à balle réelles pendants les manifestations, des tortures dans les prisons, des arrestations arbitraires qui font régner une douce terreur dans le pays. Le calme est apparent, ni la souffrance ni la mort ne font de bruit.

« Bon, c'est le candidat de Macky Sall qui va évidemment passer à sa place»

Ces propos d'Alain Juillet résonnent dans ma tête. Comment les oublier ? Comment tolérer le ton nonchalant avec lequel l'ex-directeur des services de renseignements français laisse tomber le verdict décisif des prochaines élections de l'une de ses anciennes colonies ? Comment tolérer l'entêtement du président français à féliciter le président Macky Sall sur sa gestion démocratique ? A le féliciter pour l'organisation d'élections présidentielles avec de «  multiples compétiteurs » alors que le leader de l'opposition (en tête dans plusieurs sondages) est écarté de la course ?

Des élections sans Sonko c'est une coupe du monde sans le Brésil. Et Sonko est la troisième victime de ce stratagème car aux dernières élections deux opposants de Macky Sall avaient été écartés de la sorte et déclarés non éligibles. Qu'on le veuille ou non, nos passés sont liés, et nos présents non déliés. En tant que français, il est de notre devoir de prendre place aux côté des peuples anciennement colonisés qui ne réclament - aujourd'hui encore - qu'une souveraineté réelle.

Une souveraineté que défendait Papito Kara. Jeune militant engagé, il est emprisonné de juillet 2022 à janvier 2023 dans les prisons de Macky Sall. Une fois libéré, il craint de retourner en prison et malgré son récent mariage il décide de braver la mer pour rejoindre l'Europe. Il n'arrivera jamais à destination.

Coline Fay, française de 26 ans incarcérée le 17 novembre 2023 à la Maison d'arrêt pour Femmes de Liberté 6 à Dakar. Expulsée et rapatriée à Paris le 18 janvier 2024.

*Inspirée du rappeur Youssoupha « comment prétendre faire du rap sans prendre position »"

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De novembre 2023 à janvier 2024, trois rassemblements exigeant la libération de Coline Fay ont été organisés à Grenoble :

"Coline Fay, citoyenne française de 26 ans, militante pro-démocratie, écologiste et anti-colonialiste, a été arrêtée au Sénégal pour avoir participé à une manifestation pacifique le 17 novembre avec 6 autres personnes. Elle risque la prison à perpétuité. Les chefs d'accusation? "Association avec des terroristes, complicité contre l'autorité de l'État, actes ou manoeuvres de nature à compromettre la sécurité de l'État".

Elle a participé à une manifestation en soutien à Ousmane Sonko, un des principaux opposants au gouvernement sénégalais. Cette dernière s'est déroulée de manière totalement pacifique. Les manifestant-e-s réclamaient le droit de Sonko à se présenter aux élections et dénonçaient la criminalisation de son parti politique, le Pastef. Cette manifestation a été organisée pour défendre la démocratie et la justice au Sénégal, et soutenir les luttes sociales et environnementales que défend le Pastef.

Coline a été arrêtée et interrogée sans relâche ni assistance d'un avocat. Elle se trouve dans l'incertitude la plus complète, sans garantie de respect de ses droits. Apres avoir été interpellée, elle a entamé une grève de la faim pour protester et reclamer son rapatriement en France, ainsi que la remise en liberté de tous les détenus politiques.

Jusqu'à présent, sa famille n'a reçu aucune information sur son état ni sa situation actuelle. On sait que les conditions de vie dans les prisons au Sénégal ont empiré dernièrement et sa famille et ses proches sont donc très inquiets.

Il faut signaler le silence du gouvernement français dans cette affaire. L'avocat Juan Branco, qui a donné l'alerte, dénonce que "l'Élysée prévenu depuis cinq jours a sciemment laissé faire". Pourquoi ? Le président du Sénégal est le plus proche allié d'Emmanuel Macron en Afrique. Des compagnons de Coline disent que "Macron et le gouvernement français restent silencieux parce que des élections justes, que pourrait gagner Pastef, ne les intéressent pas vu que cela mettrait un terme à l'ère coloniale au Sénégal. Ils ne veulent pas qu'il y ait une révolution anticolonialiste dans le pays comme cela s'est produit d'autres pays du continent africain et ils sont disposés à faire la sourde oreille face aux violations des droits humains d'une citoyenne française et de centaines de personnes au Sénégal".

Coline Fay est l'une des quelques 1000 personnes arrêtées et emprisonnées pour motifs politiques par ce régime. Bon nombre de ces personnes ont été soumises à la torture et à d'atroces conditions de détention.

L'opposition sénégalaise vient de dénoncer les récents exemples de soutien du président de la France au président Sénégalais : "Macron lui a offert l'immunité diplomatique récemment, lorsqu'il a été nommé "envoyé spécial" du "Pacte de Paris pour la planète et les peuples", soutien qu'il a exprimé après les épisodes de répression de 2021 et 2023 qui ont provoqué des dizaines de morts et de blessés".

Nous exigeons la liberation de Coline FAY et de toutes les personnes emprisonnées pour motifs politiques et pour défendre la démocratie et la justice de manière non violente."

Pour contacter la rédaction de cet Appel : freecoline (at) protonmail.com